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Chroniques
récital I Giocatori
Rasse – Ryelandt – Vreuls
En 1998, trois « pensionnaires » de la Chapelle musicale Reine Élisabeth décident de fonder le trio I Giocatori (Les Joueurs). Il s’agit du violoniste Hendrik Ide, du violoncelliste Ludo Ide – qui connurent tous deux l’enseignement d’Arie van Lysebeth, violoniste, chef d’orchestre et professeur de musique de chambre au Conservatoire royal de Bruxelles, dont il est devenu directeur – et du pianiste Hans Ryckelynck – élève de Lieve Saerens, Johan Duijck, Rafaël D’Haene et Abdel Rahman El Bacha. Du patrimoine belge qui affiche ici des racines variées, ils présentent trois raretés signées Rasse (Bruxellois installé en province), Ryelandt (Flamand) et Vreuls (Wallon), tous trois ancrés dans le romantisme.
Peu connu en France – sait-on qu’il composa des opéras, des symphonies, une musique « facilement accessible, clairement lyrique et sans évolution stylistique notable », comme la résume Jaak van Holen dans la notice du CD ? –, François Rasse (1873-1955) fréquente les conservatoires comme pédagogue (professeur à Bruxelles, directeur à Liège) et les théâtres d’Europe en tant que chef d’orchestre (La Monnaie de Bruxelles, le Capitole de Toulouse, les Noord-Nederlandsche Opera et Concertgebouw d’Amsterdam). C’est au terme des ses études dans la capitale belge qu’il compose le Trio Op.16, dédié à son professeur, le célèbre Eugène Ysaÿe. L’Allegro appassionato initial laisse d’ailleurs toute sa place au violon et encadre de moments recueillis un déferlement emprunté à Fauré. L’Andante présente un dépouillement lisztien confronté à des sursauts lyriques dignes de Massenet. Au jeu des rapprochements, ce sont Pierné et Chabrier qui viennent à l’esprit, à entendre l’« espagnolade » d’Interlude et final. Pleine de savoir-faire, cette pièce possède une fraîcheur qui fait malheureusement défaut au reste du programme.
Unique élève particulier qu’accepta Edgar Tinel, Joseph Ryelandt (1870-1965) devint à son tour professeur de contrepoint (Gand) et directeur de Conservatoire communal de Bruges. Quelques grands oratorios religieux, dans la tradition de Liszt, Franck et de son maître (qui préfère Bach à Wagner) assurent à ce croyant véritable une renommée internationale dont on a perdu le souvenir. Entre un premier essai détruit avec d’autres œuvres de jeunesse et le Trio Op.131 n°2 (1944), Ryelandt livre son Trio Op.57 n°1 (1915), avec sa forme en deux parties non conventionnelle. L’Allegro con moto possède une couleur nettement française, des élans passionnés côtoyant l’inquiétude, tandis que l’Andante prend une tournure assez folklorique, avec grâce et amabilité. Si l’on se réfère à cette unique pièce, défendue avec élégance par I Giocatori même si elle ennuie vite et pontifie, il est fort à parier que Ryelandt – qui affirmait « on peut avancer ou reculer, si on n’est pas de ce temps, on sera du prochain » – peine à intéresser les générations à venir.
Victor Vreuls (1876-1944) étudie à Verviers et Liège auprès de Sylvain Dupuis (harmonie) et Jean Théodore Radoux (contrepoint et fugue), avant de devenir l’élève particulier de Vincent d’Indy, à Paris. Il enseigne à son tour l’harmonie à la Schola Cantorum, durant cinq ans, avant de diriger le Conservatoire du Luxembourg (1901-1926). Comme Rasse, il laisse à la postérité nombre d’opéras, symphonies, œuvres concertantes, chambristes et chorales, parmi lesquelles le Trio Op.1, publié en 1920, composé dans l’optique résolument Sturm und Drang de ses vingt ans. Impétueux, le premier mouvement l’est assurément – musclé, obstiné et brahmsien en diable ! À ce tourbillon verbeux succède un Modérément lent qui mêle moments berçants et oniriques à d’autres franchement sirupeux et mièvres. De meilleur goût, Simple et calme s’avère frais, épuré et timidement bucolique, les dernières notes se posant comme une caresse. Bravo aux interprètes – aux compositeurs un peu moins…
HK