Recherche
Chroniques
récital Juliana Steinbach
Debussy – Moussorgski
Depuis 2002, la Fondation Alfred Reinhold et la Blüthner Pianofortefabrik de Leipzig soutiennent la carrière de la jeune pianiste brésilienne Juliana Steinbach. Outre la série de récitals et concerts chambristes produite à Lyon et à Paris durant la saison dernière qu’elle promut, dans le cadre ce qui s’appela Saison Blüthner, à la fin de janvier la prestigieuse firme saxonne enregistrait in loco (plus précisément au Mediencampus Villa Ida), en collaboration avec le label Paraty et avec le soutient de la Fondation Singer-Polignac, le programme que nous découvrons aujourd’hui.
Si nous l’entendions il y a quelques années déjà dans un menu Beethoven, Brahms, Prokofiev et Schumann [lire notre chronique du 25 juillet 2004], il ne fait pas l’ombre d’un doute que des affinités certaines lient Juliana Steinbach à la musique de Claude Debussy. Aussi entendons-nous des Estampes (1903), plus qu’intéressantes. Pagodes détache les aigus d’une ligne nettement dessinée sur une matière ronde, tendre, voire moelleuse où bientôt se déploie un art raffiné de la nuance, sculpté dans une généreuse ampleur du son. Dès l’abord, on gagne une profondeur inattendue du grave et des possibilités de couleurs inhabituelles grâce à l’instrument joué (Konzertflügel Modell 2). Plus sec se fait La soirée dans Grenade qui dispense une impression de pensée fragmentée, comme si l’artiste n’osait pas aller plus loin dans son choix interprétatif. Les effets de guitare paraissent un peu lents et les accords sont durs et restent en surface. En revanche, Jardins sous la pluie fait la merveille de ce CD ! L’inventivité de la pianiste en inscrit la folie de l’instant dans l’étendue d’une inspiration plus ouverte qui en fait un drame intime rendu climatique – à moins qu’il s’agisse d’un drame climatique absorbé par l’intime, qui sait ?...
C’est précisément un Blüthner de 1904 que jouait Debussy lui-même quelques temps après avoir écrit ces pages. La saveur toute particulière du piano mis sous ces doigts semble révéler Juliana Steinbach à son propre style – car assurément la musicienne possède une approche toute personnelle qu’elle défend non sans superbe, loin du déplorable « formatage » qui écrase bien des jeunes pianistes d’aujourd’hui. Malgré une Isle joyeuse (1904) aux subtils fondus, si fidèle au texte que c’en pourrait bien être parfois plus à la lettre qu’à l’esprit (île joueuse ou joyeuse ?), cette troisième Estampe laisse percevoir les belles dimensions artistiques de l’interprète qui, avec un peu de temps, imposeront de riches qualités, n’en doutons pas.
Notons au passage la cohérence d’une affiche qui associe tout naturellement Debussy au répertoire russe du troisième tiers du XIXe siècle qui l’a tant marqué, et plus précisément à Moussorgski à travers les fameux Tableaux d’une exposition de 1874. La mouture ici livrée nous convainc cependant beaucoup moins, vraisemblablement parce que le degré d’appropriation de l’œuvre par la pianiste demeure inégal encore, bien qu’il ne serait pas juste de rejeter en bloc une exécution qui affirme des atouts indéniables.
BB