Chroniques

par michel slama

récital Karina Gauvin
Bach – Boismortier – Britten – Händel – Mahler – etc.

1 ATMA Classique (2016)
ACD2 3017
Le soprano Karina Gauvin chante Bach, Boismortier, Britten, Händel, etc.

Depuis une vingtaine d’années, Karina Gauvin enchante le monde lyrique par sa voix pure, sans aspérités, toute de miel et de tendresse. Son charisme et sa prestance scénique l’inscrivent dans la lignée des Margaret Price, Kiri Te Kanawa et Renée Fleming dont elle a aussi le format vocal. Depuis sa première Pamina (Die Zauberflöte), le soprano québécois a multiplié les prises de rôles essentiellement baroques, avec une prédilection pour Händel (Agrippina, Alcina, Partenope, Giulio Cesare, Rinaldo, Tamerlano, pour ne citer qu’eux), mais aussi Cavalli, Lully, Rameau, Gluck et le méconnu Steffani dont elle a enregistré et interprété Niobe, aux côtés de Philippe Jaroussky. Elle a incarné une Vitellia de La clemenza di Tito (Mozart) de belle facture au Théâtre des Champs-Élysées, qu’elle redonnera en version de concert, in loco, durant la saison 17-18. Ses goûts musicaux ne la limitent pas à la musique du XVIIIe siècle. Spontini, avec une Olympie mémorable [lire notre chronique du 3 juin 2016], Bizet, Debussy, Mahler, Barber, Britten et même Dutilleux sont aussi à son répertoire, accompagnés par les plus prestigieux ensembles et les plus grands chefs.

Avant d’être adoptée par Erato et Universal, Karina Gauvin a beaucoup enregistré pour les labels indépendants. ATMA propose aujourd’hui une généreuse compilation de la fine fleur des enregistrements qu’elle réalisa pour ce label canadien qui lui a immédiatement fait confiance.

De Purcell à Britten, c’est près de trois siècles de musique qui sont ainsi évoqués. L’artiste y brille par une technique sans faille, la pureté de la voix et l’ineffable charme de son timbre. On restera plus réservé sur les ensembles qui l’accompagnent, malgré la sympathie que Les Violons du Roy ou Il Complesso Barocco purent inspirer dans d’autres albums. Ne boudons pas notre plaisir à l’écoute de chacun de ces chefs-d’œuvre, pour la plupart très fréquentés, mais qu’elle sait animer et transfigurer à sa façon, avec une diction toujours impeccable. Ici, on ne trouvera pas de mélodramatisation à outrance, d’affèterie ou de sophistications inutiles. La longueur du souffle est impressionnante. Sa virtuosité exceptionnelle lui permet d’affronter avec insolence les pires difficultés, en particulier chez Händel. Rejoice greatly, extrait du Messiah HWV 56, en est la meilleure illustration. On a rarement entendu une telles perfection et facilité vocales, incroyables, alliées à une élégante séduction, que dans Oh sleep (Semele HWV 58) et surtout Ombre pallide (Alcina HWV 34), aux ornements baroques de grand talent.

Elle change d’intonation et adapte son style vocal aux compositeurs qu’elle défend. Si elle reste idéale pour la musique du Caro Sassone, les deux airs de Purcell, Strike the viol Z.323 et Fairest Isle (King Arthur Z.628), qui ouvrent ce récital, lui vont à ravir. Johann Sebastian Bach est présent pour un vibrant et angélique Ich habe genug (extrait de la cantate éponyme BWV 82) et pour une curiosité, la transcription par le Cantor de Leipzig du Stabat Mater de Pergolese, en allemand, BWV 1083 dont ATMA livre la première partie. L’air de Susanna, Deh vieni non tardar (Le nozze di Figaro) est par trop capiteux. Non contente d’avoir échangé sa tenue avec celle de sa servante, la Comtesse lui emprunte son air…

L’enregistrement le plus ancien date de 2004. C’est le fameux Lied Das himmlische Leben de la Symphonie en sol majeur n°4 de Gustav Mahler, pour lequel elle trouve des accents originaux et appropriés, ingénus et presqu’enfantins. Un jeune Yannick Nézet-Seguin de vingt-neuf ans l’accompagne idéalement à la tête de l’Orchestre Métropolitain de Montréal. Le dernier hommage à la musique du XXe siècle est tout de délicatesse et de sereine tendresse : Now sleeps the crimson petal, d’Alfred Tennyson, poète britannique du XIXe siècle, dans la version de Benjamin Britten – un must de cet album.

En bonus, un crossover inédit de 2016, You, my sister, duo sur fond de bossa nova avec sa sœur Nathalie Gauvin, chanteuse de jazz, clôt bizarrement cette sélection très attachante de l’art de la Québécoise.

MS