Chroniques

par michel slama

récital Le Concert de la Loge
Guénin – Haydn – Mozart

1 CD Aparté (2017)
AP 157
Julien Chauvin et Le Concert de la Loge jouent Guénin, Haydn et Mozart

Julien Chauvin et son Concert de la Loge poursuivent leur intégrale des symphonies parisiennes d’Haydn, pour notre plus grand plaisir. Après La Reine, c’est au tour de La Poule d’être au centre d’un nouvel album qui associe, comme le précédent, des œuvres exactement contemporaines. Julien Chauvin fait entendre cette Symphonie en sol mineur Hob.I:83 telle qu’elle fut jouée par le Concert de la Loge Olympique en 1786 au Palais des Tuileries, en se fondant sur des partitions manuscrites envoyées par le compositeur à Paris et conservées à la BNF. L’interprétation proposée est très contrastée, vive et particulièrement animée, dans le goût français de l’époque. Ici, on est loin de l’imagerie d’un Haydn pesant, interminable et à la limite de l’ennui que le second thème, qui donne son titre à cet opus, était censé contredire. Grâce à la virtuosité et à l’élégance des instrumentistes, cette Poule est un régal à réécouter à l’envi. Les tempi sont rapides et cette page, dans sa version parisienne, dure trois à cinq minutes de moins que les habituelles versions des éditeurs Artaria ou Bärenreiter.

Reconstituant un programme de concert de cette période prérévolutionnaire marquée par la franc-maçonnerie, Chauvin et sa formation révèlent une symphonie de Marie-Alexandre Guénin (1744-1835), compositeur très en vogue à son époque, aujourd’hui oublié. Il naquit sous le règne de Louis XV et mourut sous celui de Louis-Philippe. Ce musicien à la longévité exceptionnelle s’est illustré comme violoniste virtuose, professeur et éditeur de musique. Il a collaboré avec les plus grandes institutions et sous les différents règnes. Citons, de façon non exhaustive, l’Académie royale de musique, la Chambre du Roy, les cours de Charles IV d’Espagne et de Louis XVIII, mais aussi le Concert Spirituel, le Concert des Amateurs et le Concert de la Loge Olympique. Quand Voltaire est reçu en maçonnerie en 1778, c’est sa Symphonie en ré mineur Op. 4 n°3 que l’on joue, celle ici choisie afin de faire découvrir ce Français du Siècle des Lumières.

Cette œuvre mérite d’être réhabilitée et n’a rien à envier à celle de ses contemporains. Synthétisant les courants allemands, italiens et français, Guénin n’hésite pas à s’inscrire dans le préromantique Sturm und Drang, incontournable, bien qu’il teinte avec l’élégance et les codes des conventions parisiennes de l’Ancien Régime. La forme en trois mouvements sans menuet rattache cette brève symphonie à la tradition italienne. Avec Gossec, Rigel, Bréval et Lochon, Guénin commençait à esquisser ce que deviendrait au dix-neuvième siècle la symphonie française… Julien Chauvin, lui aussi violoniste et chef d’orchestre [lire nos chroniques du 14 janvier 2015, du 10 février 2016 et du 10 novembre 2017], a complètement appréhendé son style. Avec l’excellent ensemble de solistes réduit pour l’occasion à un quatuor à cordes, deux hautbois et deux cors, il rend justice à une musique qui, du coup, devient plus percutante, tendre ou tragique. Espérons qu’ils poursuivront la redécouverte de ce répertoire, résurrection initiée en 1968 au conservatoire de Maubeuge, ville natale du compositeur.

Le Concerto pour piano en sol majeur K.453 n°17 fait partie des grands concerti viennois de la maturité de Mozart ; il date de 1784, comme les Dix-huitième et Dix-neuvième. Il est l’un des rares qui furent publiés du vivant de l’auteur, de plus à Paris, ce qui rend plausible sa présence dans ce programme. Il en existe de très nombreuses versions discograhiques. L’interprétation originale du Concert de la Loge surprend par l’utilisation du pianoforte en basse continue dans les parties orchestrales. Il semble que Mozart ait souhaité renforcer les basses et écrit de sa main Pianoforte Col basso dans les tutti pour confirmer la présence de l’instrument dans bon nombre de ses partitions. Héritage de l’ère baroque, où le clavecin jouait ce rôle, ou volonté du compositeur, cette pratique ne fait pas l’unanimité des musicologues. L’omniprésence du pianoforte tendrait à altérer le dialogue de l’orchestre avec le soliste, surtout après les cadenze exécutées en solo. Si déroutant qu’il soit pour l’auditeur non averti, le résultat n’en demeure pas moins une belle réussite, grâce au talent du jeune Justin Taylor. Âgé de vingt-cinq ans, le pianofortiste offre une virtuosité et une élégance idéales, non dépourvues de sensibilité et de nuances. Révélation des Victoires de la musique classique 2017, on le connaissait pour ses qualités de claveciniste à travers un premier CD, auréolé de récompenses, consacré à la famille Forqueray. En deux ans, l’angevin franco-américain est devenu incontournable [lire notre chronique du 22 septembre 2016].

Encore un bel épisode à l’actif de Julien Chauvin et son Concert de la Loge. On attend la suite de l’intégrale avec impatience.

MS