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Chroniques
récital Le Poème harmonique
Beaulieu – Boyer – Caietain – Carroubel – Costeley – etc.
Depuis près de vingt ans, Vincent Dumestre et son Poème harmonique nous régalent d’airs anciens de cour et de complaintes amoureuses ou guerrières, à travers une discographie riche et enthousiaste. Les recherches musicologiques de Dumestre l’ont porté à explorer l’héritage de la chanson populaire européenne, avec une prédilection pour la France, bien sûr, mais aussi pour l’Italie et l’Espagne, de la Renaissance au siècle des Lumières.
Artiste touche à tout, luthiste, guitariste et chef d’orchestre, il s’est aussi essayé à la composition de musique de films pour Le pont des arts de son complice Eugène Green en 2004. Pour nous, c’est aussi l’artisan indispensable, au côté du génial Benjamin Lazar, des trois chefs d’œuvres que furent Le bourgeois gentilhomme de Molière-Lully en 2005, puis Cadmus et Hermione de Lully et l’Egisto de Cavalli [lire nos chroniques du 21 janvier 2008 et du 1er février 2012]. C’est à la veille du Grand siècle que se situe l’anthologie d’airs de cour français aujourd’hui proposée. Plus précisément, dans sa brève mais instructive présentation, les airs choisis et qu’il a arrangés se situent tous entre 1570 et 1600.
Exclusivité de l’art princier, le contrepoint polyphonique de la Renaissance s’ouvre enfin à l’aristocratie, sans se démocratiser encore. On apprécie alors de faire jouer des airs de cour limités à quatre ou cinq voix, comme le pratiquait couramment la tradition populaire de la Voix de ville (qui donnera le terme Vaudeville), en opposition à la tradition savante. Les deux mécènes qui inspireront beaucoup de créations artistiques dans tous les domaines sont les maisons de Lorraine-Guise et celle des Retz-Gondi, qui se sont illustrées dans l’Histoire de France. Les Lorraine-Guise sous l’inspiration de leurs ducs François, René et Henri, prirent sous leurs ailes non seulement Pierre de Ronsard, Rémy Belleau, Jean-Antoine de Baïf mais quelques-uns des musiciens qui signent les airs ici présents, comme Pierre Guédron, Guillaume Costeley et Fabrice-Marin Caéitain, aujourd’hui oubliés. Ces musiciens exerçaient aussi chez la comtesse de Retz, Catherine de Clermont qui, avec son époux Albert de Gondi fut peut-être, dans l’hôtel face au Louvre, la première salonnière française.
Ses familles suivaient en cela la volonté affirmée de Catherine de Médicis d’impulser une politique particulièrement féconde en matière d’arts, influencée par la tradition gréco-romaine et par les folklores profanes méditerranéens. C’est à une résurrection particulièrement attachante de diverses pièces jouées dans ses maisons que convie le présent enregistrement.
Ici, point d’ennui ni de langueur infinie, les quinze pièces alternent avec une belle variété, allant de la chanson tendre, désespérée de l’amour et du désamour (Que feray-je), jusqu’aux airs à boire ou à danser, moqueurs, cruels parfois (Allons vieille imperfaite) et guerriers (Hélas que me faut-il faire). Un Passepied de Bretaigne, uneSpagnolette et uneFantaisie italienne rappellent que Guise et Gondi appréciaient les influences ambiantes.
Entouré de ses fidèles compagnons du Poème Harmonique, Vincent Dumestre restitue à merveille un legs injustement enfoui depuis longtemps. Grâce à la présence de solistes ad hoc, comme Claire Lefiliâtre, Serge Goubioud, Bruno Le Levreur et Marc Mauillon, cet enregistrement devient un enchantement. Les sonorités orchestrales sont luxuriantes. À plusieurs reprises, l’oreille est taquinée par des mélodies qu’elle semble déjà connaître, n’était le vieux français parfaitement prononcé.
Une mention spéciale au clavecin de Jean-François Brun, réalisé d'après un Celestini de 1587, joué à merveille par Pierre Gallo, et à la délicieuse harpe baroque reconstituée par Simon Capp qu’Angélique Mauillon anime avec délicatesse.
MS