Chroniques

par laurent bergnach

récital Les Percussions de Strasbourg
Hosokawa – Kishino – Taïra – Takemitsu

1 CD Les Percussions de Strasbourg (2019)
PDS 119
Les Percussions de Strasbourg jouent Hosokawa, Kishino, Taïra et Takemitsu

Depuis 2016, année de création de leur propre label, Les Percussions de Strasbourg se sont distinguées en enregistrant Hugues Dufourt (Burning Bright) et Pierre Jodlowski (Ghostland). Aujourd’hui, bientôt soixantenaire, la formation propose un programme japonais nommé Rains, donné pour la première fois à la Funkhaus de Cologne, dans le cadre du festival Musik der Zeit [lire notre chronique du 1er novembre 2018], puis enregistré au mois de janvier suivant. Quatre compositeurs sont réunis, nés entre 1930 et 1971, dont le plus connu s’avère Tōru Takemitsu (1930-1996). En septembre 1961, ce dernier situait sa propre recherche par rapport à ce qui exaltait l’Europe d’après-guerre (Webern, Schönberg, etc.) :

« je voudrais libérer les “sons” de règles musicales de pacotille, enfermées dans des schémas, et leur donner un mouvement véritable qui respire. Pour moi, la forme première de la musique devrait être fondée sur une relation profonde à la nature, parfois douce, parfois violente, plutôt que de se limiter à une expression de l’intériorité uniquement conforme à une conception contemporaine. Lorsque les sons font allégeance aux idées, au lieu de disposer de leur propre chair, la musique ne s’en trouve-t-elle pas affaiblie ? » (in Écrits, Symétrie 2018) [lire notre critique de l’ouvrage].

En amont d’un cycle consacré à la pluie – Rain Coming (1982), Rain Spell, Rain Tree Sketch (1983), Rain Dreaming (1986), etc. –, le créateur s’inspire d’une nouvelle de Kenzaburō Ōe, « L’arbre à pluie » intelligent, pour concevoir Rain Tree (Tokyo, 1981), une métaphore de l’eau qui circule dans l’univers, délicate mais dynamique [lire notre chronique du 9 février 2010 et du 6 décembre 2018]. Sans leur complices Enrico Pedicone, Thibaut Weber et Hsin-Hsuan Wu, Minh-Tâm Nguyen, François Papirer et Galdric Subinata interprètent cette pièce pour trio.

Dans ces années soixante évoquées plus haut, porté par une fascination debussyste, Yoshihisa Taïra (1937-2005) arrive en France où il étudie avec Dutilleux, Jolivet et Messiaen. Il opère dès lors la fusion entre Orient et Occident, avec une prédilection pour la flûte, la harpe et la percussion. Hierophonie V (Royan, 1975) met en vedette cette dernière, dans une pièce au prélude spectaculaire. En effet, des cris se mêlent aux frappes, avec une énergie d’autant plus explosive que sertie de silences. Un long passage assagi, voire assoupi, fourmille de micro-événements, avant l’apothéose finale. Les éléments du début reviennent alors, mais ce chaos s’accompagne d’une trépidation rapide qui semble le stabiliser, relativise ses éclats, avant de tout emporter par son autorité croissante.

À son tour, Toshio Hosokawa (né en 1955) a quitté la terre nippone, pour étudier avec Ferneyhough et Huber (1983-1986). Ce dernier l’encourage à approfondir l’art de son pays (gagaku, musique de cour, etc.), pour mieux le confronter à l’héritage européen. Nombre de ses œuvres traite du voyage intérieur, telle Regentanz (Cologne, 2018) qui, inspirée par une cérémonie japonaise, aborde spiritualité et chamanisme. Les instruments asiatiques y dominent (kwon gong, water gong, mokusho, etc.). On en aime l’enchaînement des sections : une première toute en frémissements et ébullitions (avec sa série de rebonds qui participe au mystère), une deuxième épurée qui laisse entendre souffles et ruissellements, enfin une troisième qui libère l’énergie contenue jusqu’alors.

Restons dans la cérémonie avec la pièce de Malika Kishino (née en 1971), Sange (Vicence, 2016), dont le nom fait référence à l’épandage de pétales qui accompagne le Sûtra récité pour bénir les esprits défunts, par les prêtres bouddhistes. Arrivée à Paris trente ans après Taïra, son professeur à qui elle rend hommage pour les dix ans de sa disparition, la compositrice ne se soucie pas comme lui de tradition musicale, mais plutôt de transformer des timbres – notamment grâce à l’électronique. L’opus touffu et remuant, composé de séquences peu propices à la méditation – une sirène récurrente en dissuade –, cultive d’ailleurs la résonnance métallique, quelques mugissements et plaintes qui s’effilochent, à l’instar d’une œuvre mixte.

LB