Chroniques

par emeric mathiou

récital Magdalena Kožená
airs d’opéra français

1 CD Deutsche Grammophon (2003)
DG 474 214-2
récital Magdalena Kožená | airs d’opéra français

Sans hésitation l'une des plus belles voix de la nouvelle génération de mezzo-sopranos, Magdalena Kožená offre ici un chant impeccable, élégant et plein d'esprit. L'expression des sentiments si différents d'air en air est rendue avec grâce et avec une diction irréprochable dont nombre d'artistes francophones ne peuvent se vanter. L'accompagnement du Mahler Chamber Orchestra sous la direction de Marc Minkowski est fort rythmé, discret, très coloré et nous réserve un grand moment pour l'air de Carmen qui vient conclure le récital en donnant la fièvre à l'ensemble du disque.

Mais d'où vient ce sentiment de déception ? Peut-être du programme de qualité moyenne. Bien sûr nous pouvons comprendre l'envie d'une chanteuse tombée amoureuse des pages d'Auber, Gounod, Massenet, Offenbach, etc. de vouloir les enregistrer, mais il est difficile de trouver alors un fil conducteur, si ce n'est le pétillement de tous ces airs oubliés, mais dans ce cas pourquoi glisser au final un air connu reconnu mais endiablé de Carmen ? D'accord on ne se plaindra pas, le rôle est interprété tout en retenue un peu comme une Lolita contemporaine. La Carmen de Kožená est chic et fraîche, ça change radicalement et ça marche ! Vivement une intégrale…

Revenons au début. Le Domino Noir d'Auber : voici une Angèle débridée par le tempo, la franchise et la virtuosité des vocalises de l'interprète. De Cinq-Mars (Gounod), Magdalena Kožená et Marc Minkowski font ressortir toute la poésie et l'élégance de cette nuit si magnifiquement ressenties par le timbre de notre mezzo et l'ambiance instaurée par l'orchestre. Vient ensuite Stéphano de Roméo et Juliette (toujours de Gounod) tantôt malicieux et tantôt autoritaire. De Massenet nous trouvons ici une superbe Cléopâtre qui fait preuve d'un abandon et d'une sensualité vaporeuse que cette voix si riche nous rend crédible. Puis, première surprise, Verdi s'invite dans la version française de son Don Carlos. Eboli pourrait être plus capricieuse encore. La Chanson Gothique de la Damnation de Faust (Berlioz) reste sans surprise. Vient « la pitoyable aventure » de L'Heure espagnole (Ravel) ; on se demande encore ce que vient faire cet air ici. Dommage, mais soulignons tout de même le tempérament fougueux de l'interprète et de l'orchestre. Dulcinée, du Don Quichotte (Massenet), pourrait être un rien plus chaleureuse mais cette interprétation prend au pied de la lettre le texte « j'aimerais être aimée autrement... » Elle attend son air Alza Alza pour se lâcher un peu.

Ambroise Thomas aussi est à l'honneur dans ce récital avec son Mignon quelque peu déniaisé et donc assez troublant. Ensuite l'inquiétante ballade de Jenny de La Dame Blanche (Boieldieu) fait croire à cette légende. Retour de Gounod pour Sapho et son destin tragique. Nous assistons là à un fort moment de théâtre, de style, de musicalité, chose rare et difficile au disque. Pour Nicklausse des Contes d'Hoffmann (Offenbach), nous sentons que la chanteuse s'est amusée ; on voit son sourire et sa moquerie ! À l’inverse, sa jolie Cendrillon (Massenet) s’avère résignée. Enfin un final explosif avec « les tringles des sistres tintaient » extrait de Carmen (Bizet). Bravo pour le rythme, bravo pour le changement d'interprétation, merci pour la fièvre.

Quand on réécoute le récital et que nous parcourons le livret, nous ne sommes pas déçus, nous en voulons juste encore ; c'est un régal mais nous n'en sommes qu'aux entrées. Alors s'il vous plaît Madame, revenez-nous vite avec un nouveau récital, que nous puissions revoir vos yeux si bleus et surtout apprécier à nouveau votre voix si unique dans un programme digne d'elle.

EM