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Chroniques
récital Neue Vocalsolisten Stuttgart
Cerha – Francesconi – Kampe – Käser
« Ce sont des chercheurs, des inventeurs, des idéalistes », lit-on sur eux. Voilà trente ans, en 1984, sept chanteurs fondent les Neue Vocalsolisten Stuttgart, ensemble de chambre indépendant en quête de nouvelles techniques et sonorités : Sarah Maria Sun (soprano colorature), Susanne Leitz-Lorey (soprano lyrique), Truike van der Poel (mezzo-soprano), Daniel Gloger (contre-ténor), Martin Nagy (ténor), Guillermo Anzorena (baryton) et Andreas Fischer (basse). Après le disque Madrigali sorti chez col legno en 2013 (WWE 1CD 20287), retrouvons-les aujourd’hui dans Drama, ensemble de quatre pièces conçues au XXIe siècle, qui leur sont toutes destinées.
Toujours en étroite collaboration avec les compositeurs, nos artistes font la part belle aux Italiens, tels Bianchi, Bussotti, Nono et Ronchetti [lire notre chronique du 26 septembre 2012], sans oublier Berio et Sciarrino [lire notre chronique du 4 novembre 2004 et nos critiques des CD Wergo et Stradivarius]. L’un d’entre eux ouvre ce programme : Luca Francesconi (né en 1956), pour qui « l’exploration de l'espace textuel vaguement anarchique et surréaliste qui a alimenté nombre de pièces vocales de l'avant-garde historique n'est plus suffisante » (traduction Sophie Le Caste).
Soucieux de revenir au langage par-delà le phonème, Herzstück (2012) prend sa source dans le texte éponyme et persifleur signé Heiner Müller, lequel tourne en dérision ces confessions du cœur figées, au fil des siècles, dans des phrases banales et vides de sens. Ici, les mots parlés et chantés ont plus de place que les interjections, mais sans exclure des inserts physiologiques (sanglot, bâillement, essoufflement, etc.). Non dépourvue d’humour – telle la partie III dédiée à Tadeusz Kantor, The classroom –, l’œuvre s’achève par un hommage à Morton Feldman, affichant un minimalisme étal et intérieur [lire notre chronique du 18 novembre 2016].
De l’Allemand Gordon Kampe (né en 1976), nous entendons ensuite Falsche Lieder (2011), cycle de six chansons qui ne dédaigne pas l’absurde et l’ironie, mêlant citations de pionniers de l’exploration spatiale – Johannes Kepler (astronome), Otto von Lilienthal (aéronaute), Edwin Buzz Aldrin (astronaute) – et papiers officiels, entre solennel et farfelu : un dépôt de brevet des frères Wright pour une machine volante, une notice à la traduction loupée accompagnant une guirlande lumineuse, ainsi qu’une note de service parodique prétendument émise par la Poste Fédérale.
Venu au théâtre après la pratique de la guitare et du luth, le Suisse Mischa Käser (né en 1959) a une démarche différente de Kampe, même si Präludien 1. Buch (achevé en 2005), à base d’onomatopées, n’est pas moins expressif et absurde. En effet, le natif de Zurich regarde le langage comme « une expression de ses sons et non de sa signification, ce qui n’implique pas que ce langage inintelligible n’a pas de signification ». Hommage à la tradition musicale alpine, ses huit Préludes relatent des histoires imaginaires, sans intrigue mais hautement dramatiques (la guerre des sexes, etc.). C’est une pièce pleine d’humour, séduisante dès l’abord.
On connait Friedrich Cerha (né en 1926) pour avoir achevé l’orchestration de Lulu en 1979, moins pour l’ouvrage expérimental Netzwerk (Vienne, 1981), pour deux chanteurs et cinq voix, dont il adapte deux scènes : Wohlstandskonversation et Hinrichtung (2011). À la manière d’un Botho Strauss témoignant d’une société désorientée, le musicien met l’accent sur ce que dissimule la façade bourgeoise, à savoir une violence cachée qui rejette et exécute – l’encombrant, l’agaçant contre-ténor, en l’occurrence.
LB