Chroniques

par laurent bergnach

récital Nicolas Baldeyrou
Boulez – Jarrell – Mantovani

1 CD Klarthe records (2020)
K 101
Le clarinettiste Nicolas Baldeyrou joue Boulez, Jarrell et Mantovani

On connaît l’intérêt de Nicolas Baldeyrou pour la musique de son temps [lire notre critique du CD]. Aujourd’hui, avec une aisance admirable, il célèbre Pierre Boulez (1925-2016) et les cadets Michael Jarrell (né en 1958) et Bruno Mantovani (né en 1974), dans un album intitulé Dialogues qui jouit d’une prise de son soignée réalisée au Studio de Meudon par Clément Gariel.

S’appuyant sur une documentation abondante, Christian Merlin a tout récemment consacré une biographie à l’auteur de Domaines, dont il rappelle la genèse. Sorti de l’élaboration de Pli selon pli qui l’occupa entre 1957 et 1962, Boulez s’attelle, dès 1961, à une pièce pour clarinette solo créée le 20 septembre 1968 (Ulm), puis à sa version avec orchestre, donnée le 20 décembre (Bruxelles), et sous sa forme révisée le 10 novembre 1970 (Paris). Si cette dernière recueille une grande popularité des deux côtés de la rampe, « cela tient au fait que sa relative austérité s’accompagne d’une grande séduction instrumentale, doublée d’une théâtralité certaine », assure le musicographe (Fayard, 2019).

Réunie autour de Nicolas Baldeyrou, une vingtaine de musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France livre une interprétation vigoureuse mais sans sécheresse, offrant à l’œuvre un relief chaleureux, une couleur édénique qui retient l’attention.

Un rien plus court que le solo Domaines dont il emprunte quelques cellules, Dialogue de l’ombre double est donné le 28 octobre 1985 (Florence). Il s’agit d’une pièce avec électronique en six parties, conçue pour le soixantième anniversaire de Luciano Berio – elle s’est intitulé d’abord Chemins, en référence aux Sequenze. Dans des entretiens avec Anne Roubet, Alain Damiens revient sur les indications de Boulez durant les répétitions, lequel « savait avoir recours à des images précises, simples et concrètes, qui aidaient immédiatement » (Lire, entendre, transmettre, Les Éditions du Conservatoire, 2019) [lire notre critique de l’ouvrage] : une voiture qui hoquète, deux soldats ivres qui titubent, des commérages de village, etc. On aime toujours autant cette pièce frémissante qui gagne en éloquence.

Le 22 août 1984, ouvrant un cycle éponyme, Assonance voit le jour à l’Aspen Music Festival (Colorado), pièce emblématique qui « représente en raccourci ce mélange de contraintes et de libertés où se façonne l'œuvre de Jarrell », pour citer Danielle Cohen-Lévinas (Michaël Jarrell, Les cahiers de l'Ircam, 1992). Très contrastée, elle s’avère discrète jusqu’au minimalisme, véhémente jusqu’à la revendication. Ce programme s’achève avec la pièce la plus récente, Bug, donnée le 6 février 1999 (Mériel). Avec sa péroraison virtuose et ses jeux d’écho, elle apparaît d’emblée boulézienne. Mantovani profite voluptueusement de la volubilité naturelle de la clarinette, avant de suspendre le geste en un matériau qui se délite.

LB