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Chroniques
récital Orpheus Vokalensemble
Braunfels – Fuchs – Schreker
C’est à Döbling qu’orphelin de père le jeune Franz Schreker fit connaissance avec la musique. Dans une modeste école de ce faubourg pauvre de Vienne, l’enfant fait son solfège et s’initie au violon et à l’orgue. Pour lui, les choses iront très vite, car non seulement il est très doué mais la situation familiale l’exige : capable de donner quelques leçons de violon dès l’âge de quatorze ans, il participe à l’économie du foyer maternel. Dans la foulée, le voilà bientôt organiste à l’église paroissiale. Parallèlement, il entre au conservatoire de la capitale impériale grâce à l’aide d’une haute aristocrate protectrice des arts. Là, il approfondira sa formation sous l’égide de plusieurs maîtres, dont l’éminent Robert Fuchs qui, parmi ses plus illustres élèves, avait compté Wolf, Strauss, Mahler et Zemlinsky. Au printemps 1895, l’adolescent chante dans le Männergesangverein de Döbling, fondant quelques mois plus tard son propre chœur. Il n’a donc que dix-sept ans lorsqu’il commence à diriger ses propres œuvres. Ses premiers pas dans le domaine vocal sont évidemment encore loin des audaces déployées dans les opéras à venir, dont le premier, Flammen, s’écrirait six ans plus tard. L’héritage brahmsien est omniprésent dans cette écriture passionnée dont l’élan s’orne d’une élégance discrète.
À la tête de l’Orpheus Vokalensemble accompagné par le pianiste Konrad Elser, Michael Alber explore au disque quelques-unes de ces pages de jeunesse, ici mises en regard de deux opus de Fuchs, né quatre ans après Schreker et arrivé à Vienne tandis que ce dernier composait Flammen. À ce moment-là, Schreker est bien connu de la sphère musicale, mais encore d’un public pour lequel l’activité chorale est le symbole d’une vie artistique à la portée de tous, en tant que chef de grand talent qui insuffle comme peu son propre enthousiaste. De fait, il poursuit ses activités à la Volksoper qu’il quitte en 1908, formant alors son Philharmonischer Chor rendu vite fameux par ses premières du Psaume 23 de Zemlinsky, de la Huitième de Mahler et, surtout, des Gurrelieder de Schönberg. Devenu bien plus tard directeur du conservatoire de Berlin (1920), alors cité de la modernité, le compositeur largement reconnu pour ses chefs-d’œuvre lyriques – Der ferne Klang (1910), Die Gezeichneten (1918) et Der Schatzgräber (1920) [lire nos critiques CD du deuxième et du troisième] – continue de diriger des chœurs, s’attelant volontiers aux grands oratorios de Mendelssohn et de Bach.
Ce fort beau CD fait découvrir un Schreker sensible et avantageusement inspiré. À vingt ans, il s’empare de trois poèmes de Rudolf Baumbach et signe Schlehenblüte, la ballade Der Holderstein et l’étonnant Versunken qui amorce sa facture à venir, avec ce « son lointain », plainte d’une ville engloutie. Leur font échos des chants à quatre voix qui tour à tour s’apparentent au motet ou à l’hymne politique, dans une radicalisation d’un romantisme tardif. Rainer Maria Rilke et Paul Heyse sont les invités des trois Lieder adaptés pour chœur a cappella par Clytus Gottwald. Umsonst et Im Lenz empruntent aux Fünf Gedichte Op.3 de 1894, tandis qu’Und wie mag die Liebe fut composé juste après la Grande Guerre, dans les préparatifs de la création de Die Gezeichneten [lire nos chroniques du 18 avril 2004 et du 27 avril 2013].
Nous le disions plus haut : deux autres musiciens alternent ce programme. De Walter Braunfels [lire notre chronique du 1er août 1013 sur sa Sainte Jeanne et notre critique du CD Te Deum], Schreker donnait la 9 décembre 1911 Offenbarung Johannis Op.17, le soir même où il créait Friede auf Erden Op.13 de Schönberg – disons que cette anecdote fait lien avec la présence des Zwei Männerchöre Op.41 écrits par l’Allemand à la fin des années vingt : Sonnenuntergang (1925) sur un poème d’Hölderlin et Nachtzauber (1930) d’après Eichendorff. S’y mêlent adroitement l’inscription postromantique et une quête tournée vers la période baroque. Enfin, deux opus de Robert Fuchs viennent rappeler les années de formation de Schreker, qui d’ailleurs étofferait l’un deux (Elfen und Zwerge Op.66) d’un accompagnement orchestral (1913).
BB