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Chroniques
récital Quatuor Modigliani
Debussy – Ravel – Saint-Säens
Tandis que l’Allemagne développe un romantisme opulent, parfois irrespirable, la musique française de la fin du XIXe siècle s’oriente vers la délicatesse et le raffinement. À l’instar des toiles de Bazille, Cézanne, Monet, Seurat, Sisley et tant d’autres, vibrantes de couleurs et de lumière, les œuvres doivent elles aussi capter l’impression laissée par une chose plutôt que son image exacte. Alors qu’il joue Ravel sur les routes depuis quelques années maintenant [lire notre chronique du 28 juillet 2008], le Quatuor Modigliani place Claude Debussy (1862-1918), parangon des musiciens impressionnistes, en tête de son programme français dont l’excellence méritait bien une Anaclase!.
« La musique, affirme l’auteur d’Estampes, est écrite pour dire l’inexprimable ; je voudrais qu’elle eût l’air de sortir de l’ombre et que, par instant, elle y rentrât ; que toujours elle fût discrète personne ». C’est le Quatuor Ysaÿe, son dédicataire, qui créé l’unique essai de Debussy pour cette formation, à Paris, le 29 décembre 1893. Le public et les interprètes eux-mêmes sont déconcertés par tant de nouveautés harmoniques et sonores. Dès l’abord, les Modigliani en offre une sonorité ronde, d’une grande profondeur boisée. De la virevolte initiale à l’effervescence finale, les quatre mouvements s’enchaînent en grande nuance, sans jamais succomber à la tentation de la préciosité ou de la ciselure maniérée.
C’est sorti des « cantates romaines », Myrrha (1902) et Alcyone (1903), que Maurice Ravel (1875-1937) s’attaque au Quatuor en fa majeur, créé le 5 mars 1904 par le Quatuor Heyman, puis retouché en 1910. Avec humilité, le jeune homme l’annonce comme marqué d’« une volonté de construction musicale, imparfaitement réalisée sans doute, mais qui apparaît beaucoup plus nette que dans mes précédentes compositions ». Saluée par Debussy enthousiaste, sa deuxième pièce chambriste est dédiée à Gabriel Fauré, alors professeur de composition de Ravel. La présente interprétation met en relief fraîcheur et légèreté diaphanes d’un côté – le violoncelle aleste le grave dans l’Allegro moderato –, et de l’autre un romantisme insidieux, une urgence expressive et incandescente.
À jouer ainsi, se dit-on, nos artistes feraient merveille dans Dvořák. Mais il n’est pas temps de quitter la France puisqu’un troisième opus les mobilise, signé Camille Saint-Saëns (1835-1921). Pianiste précoce aimant l’ordre et la forme, compositeur prolifique dans des genres variés – sait-on qu’il écrivit une dizaine d’opéras à la suite de Samson et Dalila (1877) ? et la musique pour le film muet d’André Calmettes, L'Assassinat du duc de Guise (1908) ? –, il se tourne vers le quatuor à cordes une fois passée la soixantaine. Il livre ainsi le Quatuor en si mineur Op.112 n°1 (créé le 21 décembre 1899, aux Concerts Colonne) et le Quatuor en sol majeur Op.153 n°2 (composé en 1918). C’est le premier, dédié au violoniste Eugène Ysaÿe, qu’on entend ici, étonnamment tendre et solaire.
LB