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Chroniques
récital Quatuor Tana
Bedrossian – Cendo – Robin
Cumulant l’expérience d’Helmut Lachenmann, celle de Fausto Romitelli et un goût particulier pour la scène rock, une génération de compositeurs a trouvé sa voix dans l’exploration des sons multiphoniques et de la saturation, privilégiant sur la finesse du timbre la toute puissante énergie. Certains les voient comme les parangons de la brutalité en musique. D’autres sont fascinés par cette énergie hégémonique, quitte à ce qu’elle relève parfois de l’artificialité, voire de la stimulation. À écouter l’enregistrement réalisé au Studio Dada de Bruxelles par le Quatuor Tana (prise de son par Prety Sounds), on comprend quel charme musclé peut avoir ce courant pour les uns et dans quel désarroi il laisse, ahuris, les autres…
Dans la notice de Crescent Scratches (2011), Yann Robin (né en 1974) précise avoir, cette fois, renoncé à la transformation des sons par l’electronic live. Il explique l’emploi des deux termes dans le titre comme résumé des procédés utilisés dans l’oeuvre : le scratch de l’aller-retour du disque vinyle sous la main du DJ, qu’il a traduit par un geste du quatuor (glissando saturé), et la boucle séquentielle à laquelle son écriture s’est attachée avec une sophistication qui fait presque mentir notre propos luminaire. En effet, les dix minutes de cette page surprennent par des moments très travaillés dans les timbres, à l’écoute d’une nouvelle richesse sonore qui s’apparente, à sa manière, à cette finesse réputée être l’apanage du genre quatuor à cordes.
Paradoxalement, c’est aussi une recherche de timbres qui surgit des trois In Vivo conçus par Raphaël Cendo en 2008, 2009 et 2010. Très liés au mouvement saturationiste, nos quartettistes – dont certains participent également à l’activité de Multilatérale, ensemble à géométrie variable lui-même fortement impliqué dans la saturation – ont été amenés à imaginer un nouvel instrumentarium afin de répondre avec exactitude aux besoins des compositeurs. C’est principalement le cas pour les pieces de Cendo (né en 1975). Archets spéciaux, feuilles d’aluminium, etc., c’est tout un attirail de prothèses qu’elles convoquent. In Vivo I s’agite dans une frénésie hallucinante, habilement contredite par des effets « en creux ». Avec In Vivo II, l’auteur nous invite dans le moteur dont on écoute les turbines qu’il fait tourner au ralenti. Avouons que ce qu’il nomme « granulosité » (dans son mode d’emploi destiné à l’écoute) s’apparente surtout à une collecte de grincements. La surprise, c’est que cette section fait naître une période planante largement new age. Le très rythmique In Vivo III est plus intéressant, renouant avec une richesse expressive généreuse, ici totalement délurée, entre stridence grogneuse, ventosités triomphales et saut dans le vide.
En 2013, Cendo écrit un second quatuor qu’il intitule Substance. Il s’agit d’un seul mouvement d’une dizaine de minutes évoluant par couches contrastées. On y retrouve les sons affectionnés par le compositeur – frottements nerveux comme des démangeaisons irrésistibles, glissandos d’effondrement, papillonages emphatiques à toute berzingue, etc. – auxquels s’ajoutent des effets percussifs, sur la caisse des instruments ou dans les attaques [lire notre chronique du 6 décembre 2013].
Avec Tracés d’ombres (2007) de Franck Bedrossian (né en 1971), nous abordons un tout autre monde. En trois mouvements brefs, ce quatuor (dédié à Allain Gaussin) témoigne d’une inventivité sans cesse renouvelée. Intense, Fantomatique, conclu d’un pizz’ sans appel, fait place à Extrêmement lent et désolé, sorte de litanie explosive où l’on croit percevoir un souvenir spectral. À l’inverse, les deux pizz’ discrets qui ponctuent son extinction créent le désir d’une suite… et c’est le cas, avec le bondissant et subtil Violent, contrasté qui tient en haleine, sous l’incroyable précision du Quatuor Tana.
HK