Chroniques

par hervé könig

récital Romain David et Stéphanie Moraly
Brahms – Dohnányi – Respighi – Szymanowski

1 CD Aparté (2021)
AP250
La violoniste Stéphanie Moraly et le pianiste Romain David

Trois sonates postromantiques font le programme de ce disque tout en délicatesse de la violoniste Stéphanie Moraly et du pianiste Romain David. Mais attention, à l’exclusion d’un opus ultra célèbre de Brahms, les deux autres sont de ces œuvres dédaignées par les répertoires à l’affiche des salles comme des CD, la plupart du temps.

De la Sonate en ré mineur Op.108 n°3 de Johannes Brahms, écrite en 1888, nous entendons une gravure saine, avec un Allegro tonique, pris dans une sonorité élégante qui tourne le dos à l’opulence de mise. Bien des interprètes ont fait de cette musique une copieuse tarte au sucre, peut-être même un flan, voire un clafoutis agrémenté d’une cuillerée de crème fouettée. Rien de ces débordements caloriques ! Au contraire, cette lecture renoue avec un climat de sobriété opté par de grands interprètes dans des gravures anciennes qui osaient même la rugosité. Curieusement prohibée de nos jours, cette caractéristique n’a pourtant jamais nui au lyrisme. La chanson triste de l’Adagio profite bien de cette sveltesse. Le phrasé soigné du piano conduit le mouvement suivant (Un poco presto e con sentimento) vers le contraste, le violon chantant dès lors ses doubles-cordes dans un doloroso émouvant. La nostalgie prend le pas du Presto final.

Né à Bratislava en 1877, alors cité de l’empire austro-hongrois, le Magyar Ernő Dohnányi fut largement influencé par le style brahmsien avant de laisser transparaître dans ses partitions la manière de son aîné Richard Strauss (né en 1864). Il compose sa Sonate en ut dièse mineur Op.21 vingt-quatre ans après celle de Brahms dont la réminiscence reste évidente. Nulle trace d’une couleur centre-européenne dans l’Allegro appassionato, quand ses contemporains Bartók et Kodály la conviaient déjà dans leurs travaux (Danses roumaines, Quatre pièces orchestrales Op.12, Mélodies populaires hongroises anciennes pour le premier, Deux airs de la région de Zobor et Énekszó Op.1 pour le second). Une inflexion généreuse gagne l’interprétation, maissans contrevenir à la minceur déjà appréciée. Néanmoins, une particularité vient démarquer cette page de la précédente : plutôt que de contenir quatre mouvements dont un lent, la sonate de Dohnányi accumule les parties relativement rapides, ce qui change la donne, même si les tempi n’ont rien d’échevelé. Le court Allegro ma non tenerezza affirme plus de fantaisie et, dans son ornementation, rappelle Strauss. Pour finir, le Vivace assai conjugue l’influence du Bavarois à une veine tsigane où les présentsartistes excellent de virtuosité.

Trois aspects sont notables dans la musique d’Ottorino Respighi, créateur né à Bologne en 1879 : l’héritage italien, jamais loin de l’opéra ; ses années d’étude en Russie auprès de Nikolaï Rimski-Korsakov qui lui a transmit sa grande science de l’orchestration ; son admiration pour Claude Debussy. Sa Sonate en si mineur date de 1917. Le romantisme appuyé du Moderato rappelle la Sonate pour violoncelle et piano du Français dont elle n’adopte pas la noirceur. Le motif hésitant de l’Andante espressivo, typiquement de salon, étonne par le timbre mystérieux que cultive Romain David. Cette partie évolue ensuite dans une emphase généreuse, brillamment assumée par Stéphanie Moraly. L’Allegro moderato ma energico est une passacaille à l’harmonie stricte et de robuste allure.

L’album Incandescence, avec sa pochette faussement entamée par la chaleur, met le feu à l’Europe. Après Allemagne, Autriche-Hongrie et Italie, il emmène l’auditeur en Pologne avec la Romance en ré majeur Op.23 que Karol Szymanowski a conçue en 1910 pour le violoniste Paul Kochanski qui la créa trois ans plus tard, à Varsovie. On aime beaucoup cette méditation mélancolique à la féconde instabilité, interprétée avec une sensibilité à fleur de peau. Le Duo Moraly-David réalise un CD passionnant pour le label Aparté.

HK