Chroniques

par david verdier

récital Schola Stralsundensis
motets du manuscrit MS 229 de Stralsund (1585)

1 CD Ramée (2013)
RAM 1208
récital Schola Stralsundensis | motets du manuscrit MS 229 de Stralsund

L'histoire commence à Stralsund, ville portuaire tout au nord de l'Allemagne, sur les rivages de la mer Baltique. On savait l'importance de la cité au sein de la ligue hanséatique qui fit la prospérité économique et politique de la région du XIIe au XVIIe siècle. Cet enregistrement rappelle l'importance culturelle de ce formidable carrefour d'influences musicales. Trouvé dans les archives de la ville, le manuscrit 229 est daté de 1585. Il comporte près de cent-cinq pièces composées avant et après la Réforme. Écrites à cinq et six voix avec accompagnement de violes, orgue portatif, flûtes et douçaine (lointain ancêtre du basson), cet ensemble contenait sans doute six livrets écrits en parties séparées. Malheureusement deux d'entre eux ont été perdus et il ne reste que ceux d'Altus, Tenoris, Sexta Vox et Basis.

À la diversité des dates, il faut surtout ajouter la diversité des origines et des influences. L'Europe du Nord au XVIe siècle ne connaît pas les frontières stylistiques que nous avons depuis rétablies. Les œuvres proviennent indifféremment d'Allemagne, de Flandre comme de France et même d'Italie. Le manuscrit contient des pièces de compositeurs connus, tels Josquin Desprez, Heinrich Isaac, Jacobus Clemens non Papa, Ludwig Senfl, Johann Walter et Leonard Lechner, ou beaucoup moins connus, comme Eucharius Hoffmann et Francisco de Rivulo, tous deux actifs dans la région de Stralsund, ainsi que de nombreux autres, tels Giovanni Animuccio, Jacobus Arcaldet, Johannes Continus, Ghisilin Danckert, Arnoldus Feijs, Christobald Morales, Leonhard Paminger, Dominicus Phinot, Antonio Scandello, Paul Schelle, Leonhart Schröter, Thomas Stoltzer, Philippe Verdelot, Giaches de Wert et plusieurs anonymes.

Contrairement à d'autres auteurs de cette époque, notamment Claude Le Jeune ou Pascal de L'Estocart, la magnificence et la prolifération du contrepoint n'est pas ici le principal intérêt. L'attention à la polyphonie est certes constante, mais incline volontiers à la modestie. Les entrelacs vieil-or se croisent sans ostentation mais non sans une certaine sensualité, comme dans le motet O Domino d'Eucharius Hoffmann. Ce compositeur influent, cantor et théoricien, recrée dans sa musique le sentiment d'une flèche madrigalesque décochée en Italie et venue se perdre sur les rivages de la Baltique. La finesse de la division en deux chœurs joue sur un jeu d'échos très charnel. L'anonyme Vulnerasti cor meum donne aux interprètes de la Schola Stralsundensis l'occasion de faire entendre une maîtrise et une justesse des équilibres d'une pureté cristalline. Rarement, on aura entendu un ensemble vocal à la palette aussi diversifiée et complémentaire : du grave nasillard et râpeux du Nuptiae factae sunt d’Arcadelt aux nacres lactescents dans O pulcherrima inter mulieres de Meiland ou les assemblages très complexes d’Alleluia, mane nobiscum Domine de Senfl.

Le choix des sujets liturgiques ne limite pas pour autant des auteurs comme Antonio Scandello à ne les aborder que sous un angle étroitement rigoriste. Il y a du Janus bifrons chez lui à mettre en avant tour à tour l'austère lancinance des violes dans Christ lag in Todesbanden et la structure séraphique d’Allein zu dir. La direction de Maurice van Lieshout anime, sans en exagérer la pulsation, la magnifique marqueterie élancée du Christus filius Dei d’Heinrich Isaac. Cette pièce, la plus longue et la plus spectaculaire de l’enregistrement, se présente comme un délicieux tableau historié dans lequel les interventions solistes alternent avec des éblouissements polyphoniques d'une beauté inouïe. Un disque-révélation qui sonne comme un coup de maître.

DV