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Chroniques
récital Shao-Wei Chou
Ferrari – Lang – Lin – Roche – Saunders – etc.
D’origine taïwanaise, la flûtiste Shao-Wei Chou s’implique dans la création musicale et la pédagogie. C’est pourquoi elle a partagé son temps, ces dernières années, entre l’enseignement (au conservatoire de Gennevilliers) et des apparitions scéniques (avec le trio 20° dans le noir ou les ensembles Soundinitiative et C barré). Elle présente aujourd’hui son premier album dont le titre, Lì – Sons, contes et images, suggère la traversée d’une rivière en marchant sur les rochers, et dont le sous-titre confirme un intérêt pour la transversalité des arts – photographies (Yves-Vincent Davroux) et fabulettes émaillent la notice. Le nom de sept compositeurs y figure, dont certains joués lors d’un récent concert dans un lieu atypique [lire notre chronique du 24 mai 2022].
Les aînés du programme sont Luc Ferrari (1929-2005) et Salvatore Sciarrino (1947). Membre du GRM (Groupe de Recherches Musicales) avec Pierre Schaeffer, Ferrari est connu pour son travail électronique qu’il oriente vers le paysage sonore. Joué en ouverture du disque, Madame de Shanghai (1996) est sa réponse à une commande sur le thème de l’Asie ainsi qu’un hommage au film d’Orson Welles (The Lady from Shanghai, 1947). La pièce s’apparente à une comédie dramatique pour trois flûtes et sons mémorisés, construite sur l’idée de miroir. La flûte y occupe des sortes d’interludes à une déambulation parlée dans le quartier chinois de Paris (vidéo-club, restauration, etc.), laquelle s’achève par une boucle répétitive. Quant à Sciarrino, on sait le Palermitain fasciné par le souffle passant à travers un instrument – fin 2003, l’exécution d’Il bocca, il piedi, il suono (1997) avait réuni quelques cent cinquante saxophonistes dans la nef du Musée d’Orsay. Concernant la flûte, ses compatriotes n’ont que l’embarras du choix des œuvres à interpréter [lire nos chroniques évoquant Mario Caroli et Matteo Cesari]. Chou interprète Venere che le Grazie la Fioriscono (1989), inspirée par la croyance antique en une musique thérapeutique. On y saisit une fébrilité douce, puis un rien ludique, plus fiévreuse enfin, fort agréable.
Ces dernières années, on a beaucoup entendu la musique de Rebecca Saunders (1967), concentrée sur les propriétés sculpturales et spatiales des sons [lire nos chroniques de Triptychon (2004), crimson (2005) par Hyeonjun Jo et par Nicolas Hodges, Stirrings Still (2006), Fury II (2009), Still (2011), Stirrings (2011), Fletch (2012), Solitude (2013), Unbreathed (2017), Yes (2017) et That time (2019)]. Pour Bite (2016), page de près d’un quart d’heure faisant intervenir la flûte basse, la Britannique s’est inspirée de XIII, un texte de Samuel Beckett issu du recueil Textes pour rien (1955) – « Il n'y a personne, il y a une voix sans bouche, et de l'ouïe quelque part, quelque chose qui doit ouïr […]. » Avec celle de Sciarrino, c’est une des pièces les plus magnétiques du programme par la richesse des techniques qu’elle convoque, la virtuosité et l’expressivité.
Évoquons maintenant la Génération 70, soient trois créateurs nés dans la première moitié d’une décennie qui redécouvre l’Orient sous un angle moins exotique que philosophique, à l’instar de Barthes, Cage, etc. Quelque temps après l’opéra Die Architektur des Regens (2008), conçu d’après une pièce de théâtre nô, l’Autrichien Klaus Lang (1971) [lire notre chronique de Parthenon] écrit Origami (2011), fondé sur la proximité de l’esprit humain et d’un morceau de papier plié plusieurs fois. Les vrombissements légers de l’accordéon de Fanny Vicens [lire nos chroniques des CD Schrift et Turn on, turn in, drop up], les grincements feutrés du violoncelle (Lola Malique) participent à un moment frissonnant et monolithique. Pour sa part, Claire-Mélanie Sinnhuber (1973) trouve dans une berceuse laotienne mêlant flûte et voix le point de départ de Petite (2001) [lire nos chroniques de Qui vive, Toccata et Regain]. Le verbe y compte autant que la note, formant comme une historiette déstructurée. Enfin, fasciné par l’œuvre picturale de Roman Opałka attachée à la trace du temps, Colin Roche (1974) [lire notre entretien] écrit Roman au Miroir (détail en lisière) (2021) – dans le but de « faire partition d’un regard sur moi-même, gravissant la montagne infinie que semble être la vie » (notice du CD). Trois voix, dont celles du conteur Yu-Chio Yang et du compositeur, s’y mêlent pour une récitation de nombres en plusieurs langues.
Dans cette même notice apparaît aussi un texte poétique de la compositrice Mu-Xuan Lin (1984), native de Taïwan résidant aux États-Unis. Le regard porté « à travers le cristal de chrysocolle » – une pierre formée à partir de la décomposition du cuivre – est l’occasion d’évoquer un océan tour à tour apaisant et angoissant, source de brumes et de bourdonnements auditifs. Through the Glass of Chrysocolla (2022) associe flûte, électronique et zheng (sorte de cithare jouée par Jing-Mu Kuo). Par un côté collage qui rassemble des éléments naturels (reflux marin, chuchotis, etc.) et industriels (secousse métallique, radio, etc.), la pièce fait pendant à celle de Ferrari, mais dans un esprit de perturbation affirmé.
LB