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Chroniques
récital Stephanie Blythe
Brahms – Malher – Wagner
Enregistré en l'Église Notre-Dame du Liban (Paris) il y a un peu plus d'un an, voici que parait chez Virgin le récital d'un romantisme finissant du mezzo Stephanie Blythe, accompagné par l'Ensemble Orchestral de Paris. On y goûtera deux adaptations qui inscrivent le programme dans le sillage de la relecture par des compositeurs plus jeunes que les auteurs originaux. Ainsi en va-t-il de Das Lied von der Erde, la vaste symphonie de Lieder pour deux voix et orchestre (initialement pour ténor et baryton, ce dernier étant la plupart du temps remplacé par un contralto ou un mezzo-soprano) composée par Gustav Mahler en 1908 sur des poèmes chinois traduits par Rückert, dont on entend ici le mouvement final, Der Abschied (L'Adieu) dans la transcription pour formation de chambre qu'en effectuait Arnold Schönberg quelques années plus tard. À la tête de l'EOP, son chef John Nelson propose une interprétation qui ne va pas s'étirant, adaptant le climat aux proportions de l'effectif de la version schönbergienne. C'est donc sans langueur que le poème est abordé, la voix venant poser les dernières couleurs du soleil couchant, derrière un horizon de montagnes dessinant la solitude d'un narrateur jamais serein qui attend avec une résignation triste l'éternité. Stephanie Blythe sait magnifiquement imposer une vision qui, pour garder une dignité farouche, n'en est pas moins chargée d'une grande puissance évocatrice et capable de susciter l'émotion de l'auditeur. Avec un timbre pleinement rond, cependant un peu gêné dans les très graves de la partition, elle offre un art du phrasé toujours bien mené.
Richard Wagner fut aidé et reçu en Suisse par un banquier zurichois dont l'épouse, Mathilde, écrivait des poèmes d'un romantisme un rien surfait, en amatrice au goût formé. Personne ne saurait être catégorique quant à cette histoire, mais il semble bien qu'une fascination pour le musicien et une attirance certaine de celui-ci pour la maîtresse de maison, peut-être sagement platonique, du reste, aient formé le limon des Wesendonck Lieder qu'il écrivit en 1958 pour voix et piano. C'est dans ces pages qu'il puisera certains des thèmes de Tristan und Isolde. Et à la fin du siècle, c'est dans l'orchestration de Tristan que le chef Felix Mottl trouvera matière à son adaptation pour voix et orchestre de l'intégralité du cycle. C'est cette version que l'on entend généralement au concert ou au disque. En 1976, le compositeur Hans Werner Henze signait à son tour une transcription de l'accompagnement pour un orchestre moins opératique, une partition d'un grand raffinement à l'écriture volontiers chambriste dont ce disque rend parfaitement compte. Prenant appui sur les alliages subtils de cette réalisation, Stephanie Blythe s'avère d'un lyrisme parfois mystérieux (Stehe still ! par exemple). La voix est ample, si bien que la ligne de chant jouit d'un espace splendide.
Mais c'est indéniablement dans la Alt Rhapsody Op.53 que Johannes Brahms composa sur quelques strophes extraites du Harzreise im Winter de Goethe (Voyage d'hiver dans le Harz) en 1869 qu'on pourra le mieux se rendre compte des qualités de la chanteuse. Elle aborde l'œuvre avec une sensibilité égale à ses moyens, dont elle ne mésuse jamais, prouvant une nouvelle fois s'il en était besoin que qui peut le plus peut moins. On regrettera toutefois un bas médium parfois presque engorgé lorsqu'il arrive en fin de phrase, comme rendu artificiellement caverneux sans nécessité. Cela dit, la voix est jeune, en pleine forme, et sa dimension laisse supposer qu'il ne soit pas inné d'en gérer l'unité, et on imagine aisément ce qu'un tel organe et une réelle intelligence artistique ne manqueront pas de nous offrir d'ici quelques années. Qu'on ne se méprenne pas à la lecture de ces réserves : cet enregistrement ne se contente pas d'être prometteur, il affirme une fort belle interprétation, accompagnée par l'ensemble vocal A Sei Voci.
BB