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Chroniques
récital Tatiana Vassilieva
Cassadó – Kodály – Tcherepnine – Ysaÿe
C'est en janvier dernier que la violoncelliste Tatiana Vassilieva enregistrait à Paris son récital en solo. Pour ces quatre œuvres de la première partie du XXe siècle, la jeune artiste délaisse à titre exceptionnel le Stradivarius Le Vaslin de 1725 – qui l'accompagne depuis quelque temps – pour un Miremont de 1876, issu d'une collection privée.
C'est en autodidacte que Zoltán Kodály (1882-1967) fait son apprentissage de la musique, et plus particulièrement sur un violoncelle. Une œuvre est d'ailleurs dédiée à cet instrument dès sa seizième année (Romance lyrique pour violoncelle et piano). Puis vinrent la Sonate pour violoncelle et piano Op.4 (1910), le Duo pour violon et violoncelle Op.7 (1914) et la fameuse Sonate pour violoncelle seul Op.8, composée en 1915 puis créée le 7 mai 1918. Bâtie sur un unique matériau thématique, riche en inventions, elle s'inspire très librement de la forme sonate et recourt au mode de la variation, typique de la musique paysanne hongroise : depuis déjà dix ans, Kodály parcourait la campagne de son pays pour collecter et étudier les sources musicales populaires, comme son ami Bartók, sous l'influence de Béla Vikár. L'œuvre en trois mouvements (dédiée à Jenő Kerpely) exige une grande virtuosité que parvient à nous faite complètement oublier l'interprétation très engagée dans l'émotion de Tatiana Vassilieva. Si certains musiciens désignent les difficultés, celle-ci préfère prendre de la hauteur jusqu'à rendre évidente une partition pourtant redoutable. La pâte sonore est ici généreuse, le chant douloureusement nourri, et les couleurs très diverses. L'Adagio central devient alors une sorte de thrène énigmatique.
Après avoir gravé sa Suite pour violoncelle seul, Tatiana Vassilieva revient à Eugène Ysaÿe (1858-1931). Interprète talentueux, chef d'orchestre apprécié, le compositeur suivit d'abord les pas de l'école franco-belge de violon, s'essaya aux accents franckistes, puis au modernisme de Debussy. Faisant suite aux Sonates pour violon seul Op.27 qui constituent un de ses apports majeurs, sa Sonate pour violoncelle seul Op.28 est composée en 1924, faisant s'alterner en quatre mouvements des moments méditatifs et graves à d'autres plus vifs et brillants. Moins dramatique, le jeu de Tatiana Vassilieva sait souligner ce qu'il reste de classicisme dans l'œuvre, tout en magnifiant, une nouvelle fois, le chant, en un beau geste où des réminiscences de Bach se font entendre.
Fils d'un compositeur, chef d'orchestre et pédagogue établit à Petrograd, Alexandre Tcherepnine (1899-1977) quitte la Russie à la Révolution d'Octobre et s'installe à Paris. Après des études de piano avec Isidore Philipp et de contrepoint auprès de Paul Vidal, il mène de front une carrière de pianiste et de compositeur. D'une production abondante ressort une prédilection pour le violoncelle : douze préludes et trois sonates avec piano. La brève Sonate pour violoncelle seul Op.76 a été crée en 1946 par Micheline Albert-Bloch. On y relève notamment l'utilisation des gammes pentatoniques majeures chinoises – nationalité de sa femme, la pianiste Lee Hsien-Ming – et mineures japonaises. Ici, la violoncelliste s'efface et laisse chacune de ces quatre délicieuses esquisses générer la rêverie.
Autre père musicien, celui de Gaspar Cassadó (1899-1966), maestro de capilla à Barcelone. Le violoniste et compositeur s'inscrit donc dans la filiation catalane, d'autant que son maître parisien, rencontré à Paris en 1908, fut Pablo Casals. La carrière internationale de Cassadó débuta en 1918, avec une prédilection pour la musique de chambre (Arthur Rubinstein, Yehudi Menuhin, Louis Kentner, et bien d'autres furent ses illustres partenaires) et une vocation à créer des œuvres (Dallapiccola, Turina, Martinů, etc.). Ses compositions concernent en priorité son propre instrument : Concerto pour violoncelle, Sonate pour violoncelle et cette Suite de 1926, pleine d'élans virtuoses et d'invitations à la danse. Avec tempérament et caractère, Tatiana Vassilieva rend parfaitement compte d'une écriture souvent ornée qui, à l'inverse de celle de Tcherepnine, n'est jamais contemplative ; sa lecture, nuancée et brillante, nourrit généreusement le lyrisme du début de l'Intermezzo, distillant une transition désertique avant que de faire élégamment surgir la jubilation de la Danza finale à la mélodie simple et gracieuse.
Avec ce beau parcours de découverte et d'émotion, la violoncelliste offre un disque exceptionnel que nous saluons d'une Anaclase !. Pour vous aider à mieux la connaître : Tatiana Vassilieva a grandi dans une famille musicienne. Depuis son apprentissage à l'âge de six ans, ses professeurs ont été nombreux – Evgueni Nilov, Maria Juravlïova, Daniel Shafran, Walther Nothas, David Geringas – et tout aussi remarquables les concours remportés (citons juste le Premier Grand Prix au Concours Rostropovitch, en 2001). Si Bach est un incontournable de son répertoire, mentionnons enfin l'intérêt de cette jeune interprète pour la musique de son temps (Penderecki, Saariaho, Stroppa, etc.).
SM