Chroniques

par laurent bergnach

récital Thomas Blondelle
Berio – Berberian – Berners – Blondelle – Brahms – etc.

1 CD Fuga Libera (2012)
FUG 591
récital Thomas Blondelle (ténor)

« On ne peut pas se nourrir éternellement d’ailerons de requins, de nid d’hirondelles, de laitances de carpes et de confiture de rose. […] – je veux de l’ail dans mon gigot, un vrai parfum de rose, une musique qui dise bien ce qu’elle veut, même si elle doit parler gras. Je loue la banalité, eh « oui pourquoi pas », si elle est voulue, sentie, truculente, et non une preuve de déficience. »

Près de quatre-vingt ans après cet Éloge de la banalité paru dans le huitième numéro de Présence (octobre 1935), le ténor Thomas Blondelle suit les traces de Poulenc en orientant le présent récital loin de toute noblesse raffinée et déclare à son tour : « la vie n’est pas faite que de drames à l’antique ; il se passe bien des choses dans notre petit jardin. […] Je suis intimement convaincu que beaucoup de ces banalités ne sont banales qu’en apparence, que leur aspect et leur style ordinaire, ennuyeux ou inintéressant dissimulent un diamant ». Tout cela, bien entendu, sans le savoir ni le prétendre.

À l’image de la diversité qui marque ses rôles scéniques (Wiener Blut, Orlando Palatino, Die weiße Rose, Dialogues des carmélites, etc.), le diplômé du Conservatoire municipal de Bruges (piano, composition, musique de chambre) opte pour une transversalité qui se moque du flacon pourvu qu’il y ait ivresse, n’hésitant pas à remonter le temps pour réunir une trentaine de pièces écrites par des compositeurs nés avant 1850 (Haydn, Rossini, Donizetti, Verdi, Brahms), entre 1850 et 1900 (Mahler, Wolf, Strauss, Satie, Fraser-Simson, Ravel, Berners, Poulenc) et après 1900 (Copland, Dougherty, Berio, Berberian, Parmentier).

L’évocation d'un quotidien fort prosaïque (envies de fumer ou de groseilles, badinages amoureux, réflexions sur la politesse ou associées à la montée d’un escalier, etc.) n’exclut jamais un certain degré d’absurde (concours de chant entre un rossignol et un coucou, visite inattendue d’un critique, amour d’une dame pour un cochon, hymne aux nez rouges, etc). Compositeur occasionnel, Thomas Blondelle pioche dans ces deux veines pour trois des 6 Blöder Lieder et 2 liederen op tekst van Louis Verbeeck qui jouent avec humour avec l’illusion, l’intuition et la revendication farfelue.

On apprécie la pâte généreuse et colorée du ténor, parfois granuleuse, au service d’une interprétation nuancée (Sanglots, Daphénéo, etc.) comme plus musclée (en particulier Le chapelier et Ballo, plus souvent entendus « au féminin »). L’italien et l’allemand vont bien à l’interprète, mais aussi les onomatopées animalières récurrentes, concentrées dans I bought me a cat et mêlées à tant d’autres dans le célèbre Stripsody. Le pianiste Daniel Blumenthal accompagne de perlés brillants et de délicatesses ciselées ces miniatures multicolores.

LB