Chroniques

par anne bluet

récital Trio Gryphon
Chan – Hatzis – Kulesha – Murphy

1 CD Analekta (2003)
FL 2 3174
récital Trio Gryphon | Chan – Hatzis – Kulesha – Murphy

Kelly-Marie Murphy semble déjà posséder ces ailes qu'elle réclame dans Give me Phoenix Wings to fly. Née en Sardaigne en 1964, elle grandit sur différentes bases militaires au Canada, débute ses études de composition à Calgary, obtient son doctorat à Leeds, vit un temps autour de Washington pour finalement s'installer à Ottawa. Elle a remporté de nombreuses récompenses dont un premier prix de composition pour son concerto pour harpe au titre digne de Takemitsu : And then at night I paint the stars. Elle avoue avoir toujours été intriguée par le mythe du phénix, « un oiseau qui s'immole par le feu pour renaître de ses cendres ». Se relever est toujours possible, semble nous assurer cette allégorie. Elle s'est également appuyée sur les vers des poètes John Keats (But when I am consumed in the fire / Give me new Phoenix wings to fly at my desire) et Robert Graves. Les membres du Trio Gryphon donnent une lecture tour à tour tendue et poétique, fruit d'un louable souci d'exactitude et de précision autant que de la volonté de traduire au mieux les intentions de l'auteur.

Né à Hong Kong en 1949, Chan Ka Nin étudie la composition à Vancouver, puis à l'Université d'Indiana où il obtient une maîtrise et un doctorat en musicologie. Depuis 1982, il enseigne à son tour cette discipline (Université de Toronto). En 2001, il remporte le prix Dora Mavor Moore (meilleure nouvelle œuvre scénique musicale) pour son opéra Iron Road. Prise de position pour les droits des peuples autochtones nord-américains, and the masks evoke... nous parle du monde spirituel lié aux masques. On repère dans cette œuvre trois sections : la première exprimant la voix d'un peuple dont la culture a été longtemps étouffée, la seconde décrivant l'essor de tribus à travers le pays, la dernière évoquant la transformation, comme un hommage à ceux qui renversent les obstacles du destin. L'esthétique est nettement influencée par les tendances de la musique américaine, avec à la fois une économie d'effets et une profusion de développements.

Comme Murphy, Christos Hatzis est un voyageur. Né en Grèce en 1953, éduqué aux États-Unis, il est citoyen canadien depuis bientôt vingt ans, et professeur à la Faculté de Musique de l'Université de Toronto. De nombreux prix et l'intérêt du public pour sa musique en font un des compositeurs les plus remarqués au Canada. Old Photographs est un mouvement pour trio avec piano tiré d'une œuvre plus importante, Constantinople – écrite pour mezzo-soprano, voix d'alto arabe, violon, violoncelle, piano et sons électroniques. À l'écoute, on est agréablement surpris par un art du pastiche de très haut vol, capable, comme de vieilles photos trouvées dans une boîte oubliée, précisément, d'évoquer celui-ci, celle-là, ceci, cela, ici ou là, tout un monde de souvenirs, de rêves et peut-être d'espoirs. Les accents du tango viennent exquisément nimber cet univers, par exemple, dans une écriture qu'on pourrait presque dire baroque, si tant est que notre époque puisse l'être parfois.

Gary Kulesha (né en 1954) est lui aussi très connu dans son pays, puisqu'il fait carrière comme pianiste, chef d'orchestre et professeur à Toronto, en plus d'être compositeur. « Nous vivons, dit-il, dans un monde qui semble osciller frénétiquement entre violence et frustration d'une part, et compassion et tendresse d'autre part. Je veux que ma musique aborde toutes ces choses. » C'est cette opposition que l'on ressent dans son Trio n°2, entre l'instabilité d'un premier mouvement aux rythmes obsédants et le second, plus lyrique, qui prend le temps de distiller la tristesse. Le Trio Gryphon en propose une interprétation sensible.

AB