Chroniques

par laurent bergnach

récital Trio Wiek
Crumb – Martinů – Rorem – Saariaho

1 CD Profil / Hänssler (2015)
PH 12013
Le Trio Wiek joue la fin du XXe siècle : Crumb, Martinů, Rorem et Saariaho

Réunissant Christina Fassbender (flûte), Justus Grimm (violoncelle) et Florian Wiek (piano), le Trio Wiek met ses nombreuses qualités (équilibre, justesse, etc.) au service de pièces de la seconde partie du XXe siècle, signées Crumb, Martinů, Rorem et Saariaho.

Inscrit dans la tradition tchèque, Bohuslav Martinů (1890-1959) néglige ni l’héritage du madrigal anglais ni l’art français. Marqué très tôt par Debussy, puis disciple de Roussel dans les années vingt, il confie être venu chercher à Paris des qualités toujours admirée : « l’ordre, la clarté, la mesure, le goût et l’expression directe, exacte et sensible ». La guerre arrive et, ses activités patriotiques irritant les nazis, l’auteur de Mémorial pour Lidice (1943) – qui emprunte son thème du destin à Beethoven [lire notre critique du CD] – s’exile aux États-Unis où le soutient le chef Koussevitzky. C’est dans ses premières années américaines, en 1944, qu’il écrit Trio H3000 (1950), lequel vient grossir un corpus varié (trois cordes, trois vents, flûte et violon jouxtant piano ou clavecin, etc.). Mi-printanier, mi-automnal, le morceau s’avère typique de la dernière génération du XIXe (Ibert, Honegger, etc.).

Réputé pour son art de la mélodie, Ned Rorem (né à Richmond, 1923) étudie avec Copland, Scalero, Sowerby, Thomson ou encore Wagenaar dans différentes villes d’Amérique du Nord, entre 1938 et 1949, date à laquelle débute un long séjour parisien. Il est aussi connu pour ne pas incarner l’avant-garde, avouant « d’aucuns pourraient avoir plus de talent, plus de rigueur. Mais je compose par nécessité, et personne ne peut le faire à ma place ». Aussi présente-t-il son Trio (1960) comme « sans compromis », mais à l’aune de ses possibilités. Étonnamment l’œuvre séduit, mystérieuse et volubile, loin de l’indigence redoutée… et de celle de nombreux néotonaux de notre siècle. On y sent des emprunts français (Debussy, Messiaen) mais aussi un regard sur son propre pays (Ives, Feldman).

Webern et Ives ont grandement influencé George Crumb (né à Charleston, en 1929), mais c’est le chant d’une baleine à bosse qui le mène à Vox Balaenae (Washington, 1972). Traditionnellement, les interprètes de cette fantaisie en trois mouvements portent un demi-masque – symbole du pouvoir impersonnel des forces de la nature – et jouent sous un éclairage bleuté. Ici, le pianiste se penche sur les cordes de la table, le violoncelliste joue scordatura et la flûtiste chante dans son instrument. On entend aussi sifflements et crotales. Ouvrant des perspectives sensorielles et méditatives, Vox Balaenae prend l’auditeur au cœur, surtout si l’on préfère à la croisière exotique (Moyen-Orient, Asie) le voyage temporel qui laisse « serein, pur et transfiguré » – inaugurant ceux de Makrokosmos [lire notre critique du CD].

« Composer, c’est capturer le temps et lui donner forme », rappelle Kaija Saariaho (né à Laakkonen, en 1952) pour qui la musique est un transmetteur de connaissances et de sentiments ne pouvant l’être autrement (in Le passage des frontières, Éditions MF, 2013) [lire notre critique de l’ouvrage]. Issu du double concerto …à la fumée (1990), Cendres (Essen, 1998) est un opus maintenant bien connu de la Finlandaise [lire notre chronique du 20 avril 2013 et nos critiques du CD KAIROS et Ondine]. Un paysage désolé et palpitant s’y dessine, assez statique, jusqu’à mi-parcours. Comme des braises ranimées, chaque instrument dresse alors sa propre flamme, chaude, autonome. Mais c’est une renaissance illusoire et le silence surgit, froid comme une lame.

LB