Chroniques

par michel slama

récital Victor Julien-Laferrière et Adam Laloum
Brahms – Debussy – Franck

1 CD Mirare (2016)
MIR 310
Adam Laloum et Victor Julien-Laferrière jouent Brahms, Debussy et Franck

Le violoncelle de Proust aurait pu servir de sous-titre à ce nouvel album Mirare qui propose trois sonates pour violoncelle et piano, interprétées par deux des plus talentueux de nos jeunes instrumentistes, Adam Laloum et Victor Julien-Laferrière, auréolés de prix prestigieux, dont une Victoire de la Musique 2018 pour le second, dans la catégorie Soliste instrumental. Au programme, trois compositeurs que le romancier vénérait, Johannes Brahms, César Franck et Claude Debussy, trois univers différents et des œuvres dont l’écriture s’étale entre 1865 et 1915. On sait combien la fameuse Sonate de Franck, qu’il entendit jouer par Enesco, l’avait passionné et vraisemblablement inspiré pour sa Sonate de Vinteuil.

La Sonate en mi mineur Op.38 n°1 de Brahms est conçue l’année de la naissance de Debussy. La variété des différents thèmes et une écriture particulièrement riche en références aux grands aînés allemands en font un monument des opus pour violoncelle et piano que Brahms sait particulièrement faire chanter. Le dernier mouvement est un hommage direct aux contrepoints de Die Kunst der Fuge (Bach). Si cette musique n’enthousiasmait que modérément nos concitoyens de l’époque, Franck, lui, admirait profondément le Hambourgeois, au point de confier à son jugement son oratorio Rédemption qu’il lui fit porter par Vincent D’Indy. La France d’alors connaissait surtout sa production de musique de chambre fêtée en Allemagne et en Autriche mais le germanisme de Brahms, en ces années de défaite de Sedan, ne pouvait que rebuter les patriotes, surtout avec la composition d’un Triumphlied (1870) pour baryton et orchestre, à la gloire de la patrie de Bismarck et de son empereur Guillaume Ier.

En 1886, Franck fut en quelque sorte le réconciliateur de l’Allemagne de Brahms qui avait vaincu la France de Saint-Saëns. En devenant le Président de la Société Nationale de Musique, Ars Gallica, le compositeur belge se devait d’être l’ambassadeur de la musique d’outre-Rhin et particulièrement du controversé Wagner, idolâtré par les uns et honni par les autres. La même année, Franck crée son unique Sonate en la majeur FWV 8, à Bruxelles puis à Paris, avec son dédicataire Eugène Ysaÿe au violon. C’est immédiatement un succès qui ne se démentira pas. Aujourd’hui, encore, cette Sonate, que les violoncellistes s’approprièrent dès 1888 dans l’arrangement de Jules Delsart, autorisé par Franck lui-même, continue d’être au programme de nombreux concerts et d’une foison d’enregistrements.

Défenseur de l’Art Nouveau, Debussy préconise de « noyer le ton »... La courte Sonate en ré mineur (1915) tranche avec les deux autres pièces de cet album. Ici, plus de passions romantiques, mais le triomphe du symbolisme et surtout un kaléidoscope testamentaire des influences européennes, principalement latines, qui marquèrent Debussy à l’orée de la Grande Guerre.

Notre duo surprend particulièrement dans Brahms par une conception épurée et retenue, là où s’entend d’habitude un romantisme exacerbé. Le phrasé du violoncelle précis et hiératique de Victor Julien-Laferrière est en osmose avec le piano sensible et souverain d’Adam Laloum, toujours exemplaire. Ils sont à l’unisson de chaque intention, de la palette de couleurs qu’ils restituent idéalement. Perfection, aussi, pour les deux autres pages au menu. On tient la version de référence pour celle de Franck, juste et équilibrée sans jamais verser dans le pathos et la précipitation ou la langueur souvent rencontrés. Là aussi complices, les deux virtuoses sont en parfaite harmonie de phrasé et de ton. L’atmosphère y est idéalement proustienne, sans sécheresse acrobatique. On en vient à préférer la transcription à l’original tant ce violoncelle offre une succession de tableaux ombrés, contrastés et poignants. Enfin, la Sonate de Debussy est un bijou d’intelligence et de perfection. Respectueux de toutes les indications, nos deux amis réussissent à merveille le chef-d’œuvre un peu négligé du Français – bel hommage en cette année anniversaire de sa disparition. Un très beau disque à réécouter à l’envi.

MS