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Chroniques
récital Vincent Larderet
Prokofiev – Ravel – Schumann – Scriabine
Vincent Larderet est un jeune pianiste qui monte, qui monte… Après déjà un premier disque aujourd'hui introuvable (en 2000, comme l'indique le livret), il nous revient avec un programme intriguant et mystérieux chez Intégral Classic, enregistré en 2001 à Lyon mais édité seulement cet été, qui inspire le respect de par sa difficulté et sa subtilité. Après des études au Conservatoire de Saint-Étienne et une médaille d'or de piano, Vincent Larderet parfait sa technique notamment auprès du pianiste uruguayen Carlos Cebro et de Bernard Ringeissen au CNR de Rueil-Malmaison. S'enchaînent ensuite les Masters Classes, les concours internationaux, et bien sûr la scène, qu'il n'a pas quittée depuis son premier récital en 1991.
Difficile de dégager une logique dans le menu de ce disque : il y a du Schumann mais ce n'est pas vraiment un programme romantique, il y a Scriabine et Prokofiev mais ce n'est pas un disque de musique russe, enfin il y a Ravel, éternel inclassable. Scriabine, Ravel et Prokofiev sont à peu près de la même génération, mais ils fréquentent ici leur ancêtre Schumann (né quelques décennies auparavant…). Évidemment, on peut en déduire que Vincent Larderet ne cherche ici qu'à faire la démonstration de son intelligence musicale, et de sa capacité à comprendre des univers très différents, mais on peut cependant dégager de ce télescopage pianistique une volonté de souligner la dimension symphonique de l'instrument dans certaines œuvres. L'interprétation solide de Larderet convient parfaitement à ce projet de symphoniser un certain répertoire qui ne demande que ça ! Un jeu solaire et passionné qui sollicite notre imaginaire à chaque portée et sait transfigurer le piano en grand orchestre.
Les Études symphoniques Op.13 de Robert Schumann, qui ont été composées en 1834, constituent le sommet de l'œuvre pianistique du compositeur, et il était bien naturel que le pianiste commence par là. Car il y a dans ces treize courtes pièces matière à faire ses gammes : ce sont des variations assez libres sur un thème de plénitude et de noblesse (comme dira Ravel…), dont la huitième est une passionnante fugue inspirée par le Clavier bien tempéré de Bach – notre maître à tous. Larderet saisit parfaitement la dimension introspective de l'œuvre, et ses contours presque orchestraux.
Scriabine écrivit Prélude et Nocturne pour la main gauche Op.9 en 1892 et sa Sonate Op.19 n°2 « Sonate-Fantaisie » cinq ans plus tard, c'est donc au jeune compositeur que nous avons affaire, pas encore engagé dans sa quête spirituelle et métaphysique un peu démesurée qui le conduira à l'utopique projet d'un spectacle total. Très influencé par Chopin dans sa première facture, il a toutefois l'audace, à vingt-cinq ans, de réduire la sonate à deux mouvements enchaînés, et de renouveler grandement son approche du matériau musical, qui est presque saisi comme un flux. Larderet est à son aise dans ce répertoire complexe, et il faut le souligner – parce que c'est assez rare – il ne réduit pas Scriabine aux poncifs habituels de la virtuosité débridée à la russe, mais jette sur lui un regard intellectuel, profond et passionné.
Dans les Valses nobles et sentimentales de Ravel écrites en 1911, il parvient à nous faire sentir que le piano, négocie toujours avec sa nature propre d'instrument, comme s'il voulait la dépasser et tendre au symphonique à chaque note. L'histoire de l'œuvre est connue : en 1911, Ravel donna une version orchestrale de ces Valses pour un ballet, et irait donc jusqu'au bout de leur logique orchestrale intrinsèque.
Un an après, en 1912, le jeune Russe Prokofiev écrit sa Toccata Op.11 éruptive, volcanique, tellurique, encore juvénile mais si maîtrisée… Larderet, avec toute la virtuosité de rigueur, parvient à arracher cette Toccata à la simple démonstration de force et réussit à rendre intelligible les moindres détails de ses méandres.
Le texte du livret – signé Alban Ramaut, professeur à l'Université de Saint-Étienne – est exemplaire de densité et d'informations musicologiques précieuses. On peut reprocher à la prise de son une certaine âpreté qui ne rend pas toujours justice au Steinway convoqué pour l'occasion. On notera pour terminer la délicatesse de ce jeune pianiste, qui mentionne dans les crédits de son disque le nom de son technicien-accordeur...
FXA