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Chroniques
récital Yorck Kronenberg
Adorno – Berg – Hindemith – Schönberg – Toch
Si on lui connaît déjà des compositions (Nachtsstück, 1988 ; Ellipse, 1999), la fondation d'un ensemble (Neue Musik, de Lubeck) et un premier roman (Welt unter, 2002), c'est au piano que nous retrouvons Yorck Kronenberg, jeune trentenaire vivant actuellement à Berlin, qui interprète ici des œuvres écrites dans la première partie du XXe siècle.
Commençons par l'aîné des compositeurs au programme, avec les Sechs kleine Klavierstücke Op.19 (1911) d'Arnold Schönberg. Le Viennois y renoue avec le genre de la pièce lyrique, d'influence brahmsienne, mais en favorisant la subjectivité plutôt que l'expressivité. L'héroïsme, le pathétisme sont bannis, et on préfère à ces clichés romantiques un travail de focalisation sur quelques motifs, qui nous entraîne aux limites du silence –comme pour la seconde pièce, parsemée de nombreuses pauses. Bref, ces miniatures recherchent l'essence plutôt que l'ornementation. Kronenberg livre une interprétation qui frappe dès l'abord par sa concentration et sa lenteur, habitée d'un poids très personnel.
Depuis 1933, la musique d'Ernst Toch (1887-1964) porte les traces de l'exil. Compositeur autodidacte, ses recherches dans les années vingt l'entraînent vers un langage autonome et contemporain, vers une Nouvelle objectivité (expériences radiophoniques, prise en compte de l'auditeur, etc.). Réfugié aux États-Unis, il devra pourtant s'adapter à un environnement musical qui laisse peu de place à l'avant-garde. Sans se renier, il s'appuie désormais sur un langage post-romantique, ainsi qu'en témoigne Profiles Op.68, pièces de caractère datant de 1946. L'auditeur pourra goûter avec ce disque une lecture plutôt claire où domine l'élégant Calm, fluent, tender (plage 9).
La Sonate Op.1 (1907-08) marque pour Alban Berg la fin des années de formation. Il n'y renie pas pour autant l'enseignement de Schönberg, en particulier avec l'idée de variation à développement. Les trois premières mesures servent, pour l'essentiel, à construire cet unique mouvement auquel le Viennois essaya sans succès d'ajouter mouvement médian et final. Unité dans la diversité, similitudes sans monotonie, voilà ce qui fait la force de l'œuvre. Là encore, le jeu de Yorck Kronenberg déconcerte, tant par la précision, la gravité que l'appropriation vers une sorte de lyrisme ordonné qui happe l'écoute. Rien de comparable à ce que l'on put entendre : le pianiste s'ingénie à révéler ce qu'on n’attendait pas.
Autre compositeur à souffrir de l'arrivée du IIIe Reich, Paul Hindemith, interdit de scène, travaille par la force des choses sur la forme sonate. Tourné depuis les années vingt vers la Nouvelle objectivité, cette Sonate n°3 (1936) refuse tout pathos et héroïsme hérité du romantisme. La musique ne pouvant pas, pour lui, refléter l'âme du compositeur, la virtuosité qu'on trouve dans l'œuvre est de l'ordre du jeu, pas du langage. Chacun de ses quatre mouvements – Ruhig bewegt, Sehr lebhaft, MäBig schnell, Fuge (lebhaft) – sont bien caractérisés. Elle est ici jouée dans une lumière bienvenue, comme dédramatisée.
De Theodor Wiesengrund Adorno, on connaît surtout les écrits théoriques (musique, philosophie, sociologie, etc.), mais quid des ses œuvres, qui remplissent vingt volumes ? Ces Trois pièces pour piano furent commencées en 1927, complétées en 1945 ; elles signalent d'un côté l'influence de Berg – dont il fut l'élève –, de l'autre l'humour, voire l'ironie du compositeur. Ces courtes pièces montrent comment un caractère original parvient à intégrer un style traditionnel sans se renier. C'est avec ces pages que Kronenberg clôt ce récital discographique, prenant congé à travers l'œuvre du grand penseur du post-sérialisme et de Darmstadt.
HK