Chroniques

par laurent bergnach

Rain
chorégraphie d’Anne Teresa De Keersmaeker

1 DVD Bel Air Classique (2015)
BAC 126
Rain, chorégraphie d’Anne Teresa De Keersmaeker

En vue de préparer la sortie de Writings on Music (Oxford University Press, 2002) – la traduction française nous sera offerte près de quinze ans plus tard –, Steve Reich (né en 1937) rédige deux textes inédits sur des confrères qui lui tiennent à cœur : Morton Feldman et Luciano Berio, qui fut son professeur au Mills College (Californie). Il y ajoute un texte sur la danse en Europe, qui commence ainsi : « en 1981 ou 1982, j’ai reçu une lettre d’une jeune danseuse et chorégraphe belge qui me demandait si trois musiciens de mon ensemble pouvaient jouer Piano Phase, Violon Phase et Clapping Music dans le cadre de sa nouvelle chorégraphie, qui devait également reprendre la pièce pour bande magnétique Come Out. J’ai répondu que j’étais d’accord. Son nom ne m’avait pas frappé à l’époque : c’était Anne Teresa De Keersmaeker » (in Steve Reich, Différentes phases, La rue musicale / Cité de la musique-Philharmonie de Pars, 2016) [lire notre critique de l’ouvrage].

Considéré comme un chef-d’œuvre de la danse contemporaine, Fase, Four Movements to the Music of Steve Reich voit le jour à Bruxelles, le 18 mars 1982, au Beursschouwburg (Théâtre de la Bourse). Toujours de Reich, Keersmaeker choisit la musique percussive de Drumming (New York, 1971) pour son spectacle éponyme, présenté au festival ImPulsTanz de Vienne, le 7 août 1998. Enfin, comme respectant l’ordre chronologique de composition, la chorégraphe s’empare de Music for Eighteen Musicians (New York, 1976) et conçoit Rain, dévoilé le 10 janvier 2001 au Théâtre royal de La Monnaie (De Koninklijke Muntschouwburg), à Bruxelles – maison dont elle assurerait la direction chorégraphique, entre 1992 et 2007. Dans un entretien de 2008 avec le musicien nord-américain, la Flamande fait un bilan de leur travail respectif : « Vingt-ans plus tard, notre travail est devenu plus fluide. Nous avons atteint la multiplicité et l’hétérogénéité. Pour ma part, j’ai le sentiment d’y être arrivé en élargissant la polyphonie : davantage de strates, de voix, de contraintes superposées, comme dans Rain » (ibid.).

Filmés en octobre 2014 au Palais Garnier (Opéra national de Paris), les artistes maison reprennent la chorégraphie, accompagnés par l’Ensemble Ictus que dirige Georges-Élie Octors. De même que la musique énergique de Reich évolue en cours d’exécution, malgré l’impression de répétition, le groupe sur scène cultive une dissemblance plus ou moins discrète : l’une des sept femmes porte un pantalon, l’un des trois hommes danse un moment torse nu, etc. Sans qu’on s’en rende compte tout de suite, lumières (Jan Versweyveld) et costumes (Dries Van Noten) changent au cours d’un spectacle captivant. La douceur des teintes (rose, beige) s’accorde à celle des sourires que s’échangent les danseurs, de connivence plus que de séduction. Les corps marchent, courent, tombent, s’agglomèrent, s’évitent ou disparaissent un moment derrière le rideau de pluie en fond de scène. Ils peuvent aussi occuper l’une des trois chaises transparentes installées côté jardin, mais jamais à plus de deux – ce qui dit beaucoup de l’éventail des possibles.

LB