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Chroniques
Raoul Lay
Life – Suite de la jeune fille aux mains d'argent – Wanderlied – L'éloge du secret
Chef d'orchestre, directeur de l'Ensemble Télémaque, Raoul Lay est également un compositeur qui affirme : « les systèmes n'importent plus ; seules, les œuvres nous parlent ». Quatre de ses pièces les plus récentes sont à découvrir sur ce disque qui, par une tentation constante de la tonalité, pourrait réconcilier les ennemis du contemporain avec nos créateurs vivants sans pour autant rebuter les puristes.
Opéra de chambre pour un seul chanteur – selon les propos du compositeur –, Life (1997) est une œuvre pour baryton basse et petit ensemble (flûte, clarinette, violon, violoncelle et percussions). Le titre fait référence à Macbeth, la tragédie de Shakespeare dont un passage bien connu sert de conclusion : « La vie [...] est un récit / Conté par un idiot, rempli de bruit et de fureur / Qui ne signifie rien ». Nothing (rien) est le mot qui ouvre et ferme le montage réalisé par Lay à partir de quatre extraits de différents actes, et le minimalisme lyrique de l'œuvre semble répondre à cette sémantique. Les instruments, peu envahissants, accompagnent avec légèreté Richard Rittelmann, lauréat de nombreux concours internationaux habitué à la mélodie française et au Lied. D'une voix de baryton belle et calme, presque neutre, il conduit sans agressivité les quelques fortissimi d'une œuvre teintée de Berg et de Britten.
En 1995, paraît une pièce de théâtre pour la jeunesse du comédien et metteur en scène Olivier Py, inspiré du conte des Grimm La jeune fille sans mains. « Il existe de ces textes – explique l'auteur –, de ces histoires qui vous prennent, on ne sait trop comment. Ainsi La jeune fille, le diable et le moulin, conte fulgurant, tourbillon insensé et chant de vie plein de couleurs, prit, une nuit, la place de mes rêves ». Suite à un pari stupide (cupide ?), un homme est contraint de vendre sa fille à un inconnu qui n'est autre que le Diable. Trois ans plus tard, ce dernier vient réclamer son dû. Le père doit couper les mains de sa fille dont la pureté éloigne le Malin, et voilà la malheureuse errant à travers champs, mutilée, dans le début de l'hiver, jusqu'à son arrivée dans le verger d'un prince... À partir de ce texte théâtral, Raoul Lay composa l’opéra La jeune fille aux mains d'argent (créé au Festival de Marseille en 2001), qui donna naissance à une suite instrumentale, avec son alternance régulière de solos et de musiques d'ensemble, sous-tendue par une mélancolie, presque une angoisse qui nous ramène, sur un mode original, aux belles heures de l'École de Vienne. La danse du diable – avec ses percussions tribales, ses traits de violons agaçants et ses vents dissonants – signale tout un monde de sauvagerie face à La Valse triste qui appartient au domaine de sa victime. L'œuvre se clôt sur un trio vocal en latin (le soprano Agatha Mimmersheim et le contreténorAlain Aubin, aux côtés de Rittelmann), qui respecte l'esprit de cette histoire sombre en étant délivrance plus que réjouissance.
Autre inspiration littéraire, ce Wanderlied (2002) pour soprano et ensemble. Comme Robert Schumann avant lui, avec le célèbre Dichterliebe, Raoul Lay picore quelques vers dans la poésie d’Heinrich Heine. L'obsession amoureuse est marquée par les multiples répétions du premier vers (Die Eine /l'unique), avant que l'œuvre nous présente différentes couleurs musicales de la peine, de la douleur, avec des touches discrètes empruntées à Weill ou Ohana. Brigitte Peyré a déjà collaboré avec l'Ensemble Télémaque – notamment lors d’une monographie Boucourechliev [lire notre critique du CD]. Entourée de cette équipe de musiciens solides, elle sait être poignante sans excès, peut-être par un chant qui, s'il est teinté de quelques vocalises éthérées, tire partie du côté terrestre de son timbre.
Avec un titre qui semble emprunté à Zweig, L'Éloge du secret (1999) ne vient pas apporter de contraste à la belle unité de ce disque. Une inquiétude postromantique anime ce duo de violon (Yann le Roux) et de piano (Nathalie Négro, élève de Kurtág, Aimard et Loriod) à la violence contenue, qui s'apaise peu à peu de pouvoir s'exprimer.
LB