Chroniques

par laurent bergnach

Redes
film d’Emilio Gómez Muriel et Fred Zinnemann

1 DVD Naxos (2016)
2.110372
La musique du film Redes (1936) fut composée par Silvestre Revueltas

Au début des années trente, le compositeur Carlos Chávez (1899-1978) rencontre le photographe Paul Strand (1890-1976), New-yorkais enthousiaste des réformes sociales de la révolution mexicaine (1910-1920). Il lui propose un projet du ministère de l’éducation : développer une série de films qui montreraient le quotidien d’un peuple quasiment illettré, alliant esthétique et pédagogie. Neveu du musicien, Agustín Velásquez Chávez entame une ébauche de scénario sur le monde de la pêche, dont Strand prévoit de tirer un documentaire.

Mais le projet s’oriente vers la fiction quand arrive Fred Zinnemann, en charge de la direction d’acteurs avec Emilio Gómez Muriel. Pour le Viennois débarqué à Hollywood en 1929, c’est le premier long métrage – seulement plus tard naîtront les mythiques High noon (Le train sifflera trois fois, 1952) et From here to Eternity (Tant qu’il y aura des hommes, 1953). La collaboration est difficile avec l’initiateur de l'objectivité photographique. Car comment concilier le goût du cadrage d’un admirateur de ¡Que viva Mexico! [lire notre chronique du 8 décembre 2005] et l’art du mouvement d’un émule de Flaherty ? Strand reste d’autant plus marqué par ces querelles idéologiques que le contexte politique est à la répression syndicale.

Connu en France sous le titre Les révoltés d’Alvarado, et par les anglophones sous celui de The wave – le film est d’ailleurs ici sous-titré dans la langue de Whitman –, Redes (Filets, 1936) annonce pour d’aucuns le néoréalisme italien. On y suit la rude existence d’une communauté de pêcheurs du Golfe du Mexique, non loin de Veracruz. Face à l’exploitation de leur travail, Miro (Silvio Hernández), qui vient d’enterrer un fils qu’il n’a pu faire soigner, conduit ses compagnons à la grève. Mais la lutte n’a de sens qu’avec l’adhésion de tous.

Protégé de Chávez qu’il assiste dans la direction de l’Orchestre Symphonique de Mexico (fondé en 1928), Silvestre Revueltas (1899-1940) accompagne ces images d’une musique vite réputée, souvent présente au concert depuis, sous forme de suite. On redécouvre pourquoi l’auteur de Sensamayá [lire notre chronique du 30 juillet 2005] fut comparé à Stravinsky et admiré par Varèse : l’épisode du cimetière est livré sans pathos, tandis qu’une veine épique déploie ses harmonies étranges lors d’une pêche joyeuse ou d’un début de révolte.

Après Limiteo (Limite, 1931), Redes est le deuxième film restauré grâce à la World Cinema Foundation, organisme que développe Martin Scorsese à partir de 2007. En première mondiale, on y entend Angel Gil-Ordoñez jouer la partition entière à la tête du PostClassical Ensemble. Si l’on est hispanophone, on pourra écouter ce chef dans un documentaire offert en complément de programme, à la suite d’autres entretiens (en anglais ceux-là) sur Revueltas, le cinéma et la politique – le tout faisant près d’une heure.

LB