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Revue Confluence Sciences & Humanités
La musique, les hommes et les dieux
Paru à l’automne 2023, le quatrième numéro de Confluence : Sciences & Humanités, revue pluridisciplinaire et biannuelle de l’unité de recherche de l’Université catholique de Lyon (UCLy), affiche pour titre La musique, les hommes et les dieux. Ce vaste programme réunit six études sur des sujets puisés dans des domaines très différents, puisque s’y expriment la musicologie, la littérature comparée, l’anthropologie et l’ethnologie, autant que biologie, neuropsychologie et théologie.
Ainsi, dans ce volume édité sous la responsabilité de Valérie Aubourg, ethnologue, enseignante à l’UCLy et directrice de la rédaction de Confluence, de Marina Rougeon, anthropologue, maître de conférences dans la même institution et coordinatrice des éditions, et d’Olivier Sauvage, enseignantà l’Université de Toulouse (LLA CREATIS) et chargé d’édition, pouvons-nous suivre diverses réflexions rassemblées après un prélude (Prolégomènes) signé Aubourg qui inscrit en postulat la musique comme « source de connaissance métaphysique » qui, après la place qu’elle occupa dans la pensée antique, est une nouvelle fois associée au divan par le christianisme. Rédigé à quatre mains par Claire Brun, professeur en biologie cellulaire ayant signé plusieurs études écophysiologiques, et Frédéric Lamantia, docteur en géographie et maître de conférences, la première contribution introduit le dossier, conçu et dirigé par eux deux, par La musique au cœur du vivant, somme qui interroge le phénomène – la musique, donc, et, plus largement, le sonore – en entrouvrant les portes qu’au lecteur feront emprunter les articles qui s’ensuivent.
Ainsi de Jean-Marie Exbrayat, biologiste et directeur-adjoint de la recherche de l’UCLy jusqu’à 2020 où il fut doyen de la faculté des sciences, marie-t-il sa plume à celle de Claire Brun dans Le chant dans la communication animale qui se penche sur la communication acoustique non-humaine, qu’il s’agisse du chant des oiseaux, dont on apprend ici le perfectionnement de la vocalisation tout au long de la vie de l’individu, des grondements laryngés des éléphants – non, ces derniers n’usent pas principalement du barrissement (utilisé comme avertisseur) –, du chant parfois complexe des cétacés, à partir des cliquetis et sifflements des dauphins jusqu’aux mélodies savamment rythmées des baleines à bosse, enfin du chant très riche des chauves-souris. La conclusion : « la vie en société hiérarchisée est certainement un facteur qui a favorisé le développement d’une communication orale complexe, et inversement, cette possibilité de communication a certainement contribué à la réussite du modèle social qui est celui de la vie de ces mêmes espèces ».
Approche neuropsychologique signée Hervé Platel, professeur de neuropsychologie à l'université de Caen et co-auteur du Cerveau musicien (De Boeck, 2010), Musique, cerveau et mémoire accompagne le lecteur dans des données récentes, réunies grâce au développement technologique de la neuro-imagerie, en ce qui concerne l’observation de l’impact cérébral de l’écoute musicale et de la pratique de la musique. « La cognition musicalene peut se résumer dans la localisation de régions cérébrales spécialisées et isolées pour la perception de la hauteur, du rythme, des timbres, etc., mais dans la contribution fonctionnelle de différentes régions critiques correspondant à des réseaux neuronaux complexes et modulables par l’expérience individuelle », lui dit-il, avant d’aborder les divers types de mémoire mis en branle par la musique – mémoires immédiate ou de travail, épisodique, sémantique, perceptive à long terme, enfin mémoire procédurale. Dans sa passionnante contribution, Platel met en relation mémoire et émotion, avant de préciser dans sa conclusion que « de nombreux travaux en éthologie et expérimentation animale retrouvent chez les animaux d’espèces diverses des phénomènes de synchronisations physiologiques lors de l’exposition à la musique que l’on observe également chez l’humain. Les stimulations musicales produisent chez ces animaux des phénomènes de neuroplasticité (neurogénèse augmentée) ».
Passé le texte du théologien François-Xavier Amherdt – Pour une via pulchitudinis musicalis –, ainsi que celui de Valérie Aubourg édité en langue anglaise – Glossolalia : the language of angels ? –, en vertu de cette pratique universaliste de l’anglais par les revues scientifiques d’aujourd’hui, comme autrefois l’on diffusait les humanités en latin, abordons avec Olivier Sauvage La religion de Richard Wagner, entre art et sacré. Bien que n’ayant point livré de musique sacrée, le compositeur saxon était sans doute plus mal disposé envers le clergé qu’envers la religion elle-même. Par sa lecture de Schopenhauer, il s’imprégna des spiritualité extrême-orientales, ce qui invite l’auteur à mettre en parallèle l’usage du Leitmotiv avec « la notion d’avatartelle qu’elle existe dans l’hindouisme et dans le bouddhisme tibétain ». Entre religion de l’art et rédemption par l’amour, la pensée esthétique wagnérienne est constamment habitée par le spirituel.
Frédéric Lamantia conclut ce dossier avec Partitions nationales, ou quand la musique attache au territoire, qui redéfinit ce qu’est un hymne national, par quels biais il réussit son processus d’attachement et quelles différences stylistiques relever entre les hymnes de tel et tel pays, menant son étude vers « l’importance majeure de la structure musicale dans la construction d’une mémoire collective », toujours dans une perspective de géographe éclairée par une démarche pluridisciplinaire. C’est avec cette citation de Nelson Mandela qu’il conclut : « La politique peut être renforcée par la musique, mais la musique a une puissance qui défie le politique ».
BB