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Chroniques
Richard Strauss
Salome | Salomé
Opus Arte a filmé la production Salome de David Mc Vicar à la Royal Opera House de Londres. Salome est le premier des enfants terribles de Strauss, l'ainé d'Elektra. Ce mythe connut un essor au dix-neuvième siècle, chez divers artistes, musiciens (Massenet, Schmitt), peintres ou écrivain (Flaubert). Richard Strauss écrivit le livret à partir d'une traduction de la pièce d'Oscar Wilde. Celui-ci s'était pris de passion pour le sujet – dont il avait une grande connaissance – et écrivit l'œuvre en français pour Sarah Bernard, en 1893. Salomé est un personnage complexe, aux plusieurs facettes (innocence, luxure et cruauté) mais aussi victime de l'absurdité du monde, du désir inassouvi. D'ailleurs, dans la Bible, Salomé réclame la tête du prophète Jokanaan sur ordre de sa mère, Hérodias. Dans la pièce de Wilde, elle réclame celle-ci de sa propre initiative. Après l'avoir vue à Berlin, Strauss déclara que la pièce de Wilde nécessitait de la musique. Il acheva la composition de son opéra en 1905. Avec Elektra, c'est l'une des œuvres les plus audacieuses du compositeur. Si l'influence wagnérienne est manifeste, Strauss a élaboré son propre langage. Par exemple, le combat entre la chasteté du prophète et le désir de Salomé est symbolisé par des jeux d'opposition entre diatonisme et chromatisme.
David McVicar a transposé l'action lors de la montée des fascismes des années trente. Il a voulu montrer comment la complaisance tyrannique du pouvoir sur la vie et la mort ôte tout érotisme à l'œuvre. Les personnages sont incapables de résister à leurs pulsions, ce qui les mènera à leur perte. De ce fait, la direction d'acteurs est vivante et fouillée. Le décor est une grande cave, aux murs gris dégoulinants d'humidité, éclairé par d'inquiétantes lumières, à la fois éblouissantes et blafardes. Un escalier mène à la salle de festin, à l'étage. Les gardes sont revêtus d'uniformes kaki, il y a également des femmes nues, ainsi qu'une femme de chambre, et quelques domestiques. Les nobles portent des costumes et robes des années trente. Le bourreau, silencieux et inquiétant (McVicar a croisé l'acteur dans la rue et a pensé qu'il correspondait au rôle, grand, musclé et chauve) sera complètement nu à la fin, déshabillé par Hérodias. Il ressortira de la citerne de Jokanaan couvert de sang. Ce sera lui qui exécutera Salomé en lui brisant la nuque. La Danse des Sept Voile se passe dans une grotte à côté de la cave. Le décor bougera plusieurs fois. On y voit Salomé et Hérode jouer tour à tour avec une poupée puis une robe.
Le soprano allemand Nadja Michael est crédible physiquement et incarne parfaitement chaque facette du personnage, autoritaire, capricieuse et fragile, sombrant dans la folie à la fin, avec son regard halluciné et sa robe couverte de sang. Lyrique, sa voix est lumineuse, un peu légère peut-être, mais elle s'en sort bien, vu la difficulté de la tessiture. Michael Volle, belle voix de basse ample, est un Jokanaan tourmenté. Lui aussi sait jouer du regard. Thomas Moser chante Hérode avec une voix agréable et non caricaturale, comme souvent, dans ce rôle dont il souligne le côté angoissé. Michaela Schuster, mezzo chaleureux, est une Hérodias dédaigneuse et peu scrupuleuse. Joseph Kaiser est un Narraboth touchant, avec une voix de ténor bien conduite. Les seconds rôles sont bien tenus. Philippe Jordan dirige de façon ciselée et colorée un orchestre du Royal Opera House en pleine forme, sans alourdir une écriture déjà dense.
SC