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Chroniques
Richard Strauss
Der Rosenkavalier | Le chevalier à la rose
Retour sur un succès, à travers cette captation réalisée au Salzburger Festspiele 2004. Robert Carsen signait alors une mise en scène à grands moyens, arborant une scénographie dispendieuse de Peter Pabst, avec défilé de décors, chambre, antichambre, salon, etc. [lire notre chronique du 6 août 2004]. Dès l’abord, le dispositif impressionne, rendant aisément l’enfilade des pièces du palais (supposé) Werdenberg, puis l’intérieur nouveau riche de Faninal (qui, ici, ne fabrique pas des uniformes militaires mais des obus), enfin la « chambre séparée » annoncée, très clairement radicalisée en véritable bordel dont la trivialité est copieusement soulignée (ablution intime des gaupes, accouplements divers et variés, sous l’œil protecteur et organisé d’un tenancier-tenancière haut en couleurs. Ce bal des débauches de l’acte ultime est précédé d’une meute d’Ochs des plus terribles (Acte II) et d’une unième ronde de laquais (I), sorte de motif obligé dans le travail du Canadien.
Cette drôle de fête, qui mêle plaisir et désillusion, se trouve encore pimentée par de nombreux détails de jeux « périphériques », comme la sympathique allusion à Freud sur les lamentations d’Ochs blessé (II), voire par des effets « grand-spectacle » dont n’est pas des moindres l’entrée d’Octavian sur un cheval blanc (II, toujours). L’investissement dramatique des chanteurs rehausse l’inventive profusion de ce Chevalier à la rose, chaque protagoniste bénéficiant d’une incarnation qui paraît idéale.
Vocalement bien servi, l’opéra de Strauss convainc. Lumineux et vaillant, comme il se doit, le Sänger de Piotr Beczala s’impose, excellent. De même Jeffrey Francis campe-t-il un Vazacchi des grands soirs. Franz Grundheber donne un Faninal touchant, dépassé par les événements, tandis que, d’un timbre robuste et d’un chant ferme, Franz Hawlata compose volontairement un Ochs monstrueusement grossier qui, s’il fait rarement rire, scelle plus certainement l’antipathie du spectateur à son égard. C’était il y sept ans ; le jeune baryton-basse autrichien Florian Boesch, chantait alors, quelques mois après un Papageno remarqué à l’Opéra de Zurich, un Polizeikommissar qui retenait l’écoute ; le même homme livrerait plus tard l’un des plus grand Wozzeck [lire notre chronique du 22 mai 2011].
Trois femmes et un homme, pourrions-nous dire du trio féminin en présence, avec un Octavian-Mariandel formidablement attachant, doctement incarné, vocalement et théâtralement, par Angelika Kirchschlager. Outre de répondre parfaitement au charme particulier de la tradition du rôle travesti, le mezzo-soprano salzbourgeois (eh oui, elle chante à la maison) façonne une chambrière qui sort avantageusement des canons habituels, jusqu’à s’avérer crument délurée au dernier acte, dans une promesse de déchaînement érotique qui fera peur au baron ! Le soprano suédois Miah Persson donne une Sophie d’une fraicheur indicible. La ligne vocale affirme une unité admirable, magnifiée par un legato souverainement entretenu. À une présence scénique éperdument juste se conjugue une couleur vocale flatteuse dans laquelle le chant est mené tout en souplesse – souvenons-nous de sa Poppea [lire notre chronique du 30 avril 2005]. Enfin, Adrianne Pieczonka se révèle une Maréchale naturellement bien en voix, mais encore finement expressive.
À la barre des Wiener Philharmoniker, dont une fois de plus il faut saluer la couleur splendide des bois comme la tonique onctuosité des cordes, Semyon Bychkov conduit une lecture caractérisée par l’urgence, soulignant par endroit les situations (ironie incisif des apprêts du petit-déjeuner, par exemple, ou encore sucre libidineux du III). Pourtant, une certaine lourdeur de ton domine, qui laisse l’auditeur sur sa faim.
BB