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Walter Legge aimait à le dire et le redire : « Nos autres albums, avec un peu de chance, on aurait pu mieux les réussir… le miracle d'Ariadne, jamais ! ». Comme il avait raison, le célèbre producteur et mari de la Schwarzkopf ! Entre le 30 juin et le 7 juillet 1954, au Kingsway Hall de Londres, le cast réuni et les membres du Philharmonia Orchestra sont en état de grâce. Chacun chante ici dans son arbre généalogique, ne semble pas avoir appris son rôle dans l'avion, tous semblant désireux de défendre une partition alors seulement connue des happy few.

Disons-le d'emblée : on n'a pas fait mieux ! Dans un studio, tout au moins. La scène permet l'urgence, les bruits de coulisses, etc. Bref, un miracle d'équilibre et de spontanéité. D'accord avec vous : d'autres voix, ailleurs, seront simplement plus somptueuses – Norman, Varady, Rysanek pour l'ampleur tragique d'un rôle titre qui n'en demande pas tant, Gruberova, Grist ou Dessay pour la simple virtuosité –, d'autres chefs plus déchaînés, mais malgré leur haut métier et leur grand art, aucun n'arrivera à la cheville de ce qu'il faut bien appeler par son nom : un enregistrement bourré d'âme et d'esprit. Autre tour de force : l'art de se fondre dans une équipe sans tirer à soi la couverture, en faisant simplement son métier, dans le plus grand respect des notes et des intentions du compositeur.

Donc, on s'amuse, on joue à faire du théâtre dans le théâtre – Hugues Cuénod vaut son pesant de cacahuètes en Maître à Danser très XVIIIe siècle –, sous le regard acéré d'un Karajan inspiré comme pas deux, avec sa direction toujours très claire dans la polyphonie. Les scènes s'enchaînent sans un temps mort dans un relief inouï. Bravo également aux ingénieurs du son qui ont décapé la bande d'origine pour lui donner cette belle limpidité. On ne sait ce qu'on admirera le plus : le prélude, remarquable de légèreté et d'esprit, l'onctuosité des cordes, le velouté des bois ?... Rien à jeter. Surtout quand on connaît les ultimes errements discographiques – commerciaux ? – du chef autrichien.

Vocalement on frôle le Nirvana. Rudolf Schock en Bacchus ? On a certainement entendu plus vaillant, plus musclé, mais quelle classe, quel chic ! Imgard Seefried toute de flamme et d'engagement, et surtout Rita Streich, achèvent de nous séduire. Celle-ci fait feu d'une virtuosité éblouissante et dit autant qu'elle le chante le texte le plus spirituel d’Hugo von Hofmannsthal. Hermann Prey distille le plus délicieux Lied d'Arlequin de l'histoire du disque, et les quelques bayreuthiens qui complètent la distribution – Ollendorf, Hoffman, Unger, Otto, Felbermayer – donnent une réplique simplement impeccable. Madame Legge enfin – un temps Zerbinetta en début de carrière – s'exhale artificiellement en Ariadne, drivée, entourée, chouchoutée dans l'écrin orchestral tissé à sa mesure par le chef et son producteur de mari. Le timbre est lumineux, l'aigu cristallin bien en place, la poésie du personnage bien réelle. Un sans faute, pour un rôle jamais abordé à la scène. C'est peut-être cela, le métier, ou le talent, tout simplement.

En complément, la scène finale de Capriccio sous la direction d’Otto Ackermann (1953). La Schwarzkopf, encore une fois dans son élément, nous livre une magistrale répétition générale à son intégrale de 1959, avec Sawallish. On l'aura compris : un album à prix modique à écouter à genoux. Devrait figurer dans les écoles, les musées, les bibliothèques, les médiathèques : partout !

CC