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Chroniques
Richard Strauss
Daphne / Daphné
Des années après Salome (1905), Elektra (1909) ou encore Die Aegyptische Helena (1928), Richard Strauss fait chanter Daphne, une nouvelle héroïne de l'Antiquité. Alors que se prépare une fête en l'hommage de Dionysos, la jeune femme s'isole, exprimant son trouble mélancolique devant le soleil couchant qui donne vie à la nature toute entière, puis s'identifiant aux arbres et aux fleurs qui l'entourent. Le berger Leukippos apparaît, qui lui reproche d'être indifférente et brise sa flûte lorsqu'elle avoue avoir plus d'amour pour l'objet que pour son possesseur. Nous découvrons alors les parents de la solitaire : sa mère Gaea qui lui ordonne de rejoindre la fête, et son père, le pêcheur Peneios, qui accueille un gardien de troupeau inconnu, lequel n'est autre qu’Apollo déguisé. Chargée de veiller sur l'étranger séduit par sa beauté, Daphne se laisse un moment caresser par les paroles du dieu avant de s'éloigner de lui. Une dispute éclate entre Leukippos et Apollo, à laquelle succombe le premier, mortellement blessé. Daphne découvre alors la vérité sur l'étrange invité et s'accuse d'avoir provoqué la mort de son camarade d'enfance. Face à cette douleur innocente, le dieu éprouve une compassion profonde et supplie l'Olympe de la rendre immortelle au milieu de cette nature qu'elle aime tant. Transformée en laurier, elle s'attachera désormais à ceindre de ses feuilles le front des plus méritants.
Comme pour son œuvre précédente, Friedenstag (Jour de paix), Richard Strauss fait appel au librettiste Joseph Gregor. Et de nouveau, c'est Stefan Zweig, peu apprécié du régime nazi, qui révise le texte. Pendant l'été 1935, une première ébauche du livret est réalisée en peu de temps, dans laquelle Gregor reste proche du mythe (rituel, cérémonial, symboles, etc.) – en cela plus fidèle à la version de Pausania qu'à celle d'Ovide. A sa lecture, Zweig conseille d'étoffer le rôle de Daphne tandis que Strauss reproche le manque de lien entre les scènes, l'absence d'un nœud dramatique central. Le livret est donc progressivement modifié suivant les exigences du compositeur. L'écriture musicale débute avec l'année 1936 pour s'achever à Taormina, le 24 décembre 1937. C'est Karl Böhm qui assure la création de l'œuvre en un acte, le 15 octobre 1938, au Staatstheater de Dresde.
En ce qui la concerne, la présente production nous entraîne à Venise, en juin 2005. D'un arbre qui semble mort, Paul Curran habille un plateau formé de cercles concentriques, qui se disjoindront à l’approche du finale, offrant un décor chaotique qui évoque immanquablement l'univers wagnérien. La direction d'acteur est sobre, les costumes et les lumières très soignées. D'un chant souple et onctueux, un peu fatiguée sur son dernier air, June Anderson forme un premier duo équilibré avec Roberto Saccá (Leukippos) à la diction claire, à l'ampleur efficace et moelleuse dans le phrasé straussien. En Apollo, Scott Mac Allister s'avère fiable, brillant et nuancé, malgré des coups de glotte récurrents évoquant un yodle. Toniques, les deux Jeunes Filles et les parents de Daphne méritent d'être cités, surtout Birgit Remmert, beau contralto rond et expressif. Enfin, si l'on regrette un Chœur assez faible, l'Orchestra del Teatro La Fenice di Venezia – à part les cuivres – se plie avec bonheur à la direction de Stefan Anton Reck [lire notre critique du coffret paru également chez Dynamic].
LB