Chroniques

par michel slama

Richard Strauss
Der Rosenkavalier | Le chevalier à la rose

2 DVD C Major (2014)
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Franz Welser-Möst joue Der Rosenkavalier (1911), l'opéra de Strauss

Dans la très belle captation de Brian Large (pour Unitel Classica), C Major fait redécouvrir Der Rosenkavalier mis en scène par Harry Kupfer, représenté durant l’édition 2014 du Salzburger Festspiele.

Autant le dire, ce spectacle est l’un des plus accomplis du chef-d’œuvre de Strauss qu’il nous ait été donné de regarder en vidéo. Tout d’abord, la production, classique mais toujours inventive, est empreinte de cette sensualité indispensable pour une œuvre où les jeux amoureux inter et intra sexes rivalisent d’audace. Kupfer a choisi de transposer l’action du Siècle des Lumières de l’impératrice Marie Thérèse à celle de la création de l’œuvre, peu avant la Grande Guerre, ce qui en 2014, à Salzbourg, contribuait à en évoquer le centenaire. Elle est servie par des décors originaux et somptueux d’Hans Schavernoch, mêlant des accessoires géants mobiles sur des plateaux tournants, avec des projections de la ville de Vienne. Au fil de l’action, on y découvre les façades monumentales de la capitale de l’empire austro-hongrois, dont le Kunsthistorisches Museum, le Prater avec son fameux parc et sa fête foraine permanente qui sert l’intrigue de la première partie de l’Acte III où Kupfer situe idéalement la grande scène de l’auberge. Le mobilier est un subtil mélange des différents courants artistiques néo-baroques du tournant du siècle, avec les révolutions apportées par l’Art Nouveau (Sezessionsstil) puis l’Art Déco (Werkstätte Still). On adore la magnifique salle à manger noire et ses chaises, directement inspirées de l’architecte et designer Charles Rennie Mackintosh, dans le palais de Faninal au deuxième acte. Les costumes superbes de Yan Tax ne sont pas en reste, exactement dans le style de l’époque.

Mais ce qui rend passionnante et indispensable la lecture du vétéran allemand, c’est cette volonté de théâtre avant tout, n’autorisant aucun temps mort, aucune longueur, aucun ennui dans cette version ultra complète de plus de trois heures trente-cinq où il interdit toute sensiblerie et tout le larmoiement auquel on était accoutumé et qui pourrait manquer à certains... Tout est magistralement pensé. Chaque scène, chaque plan, chaque geste, chaque détail est soigné à l’extrême, idéalement interprété par une équipe de chanteurs-acteurs exceptionnels [lire notre chronique du 14 août 2014]. Kupfer va même jusqu’à remplacer le petit page noir, rôle muet, qui apporte le petit-déjeuner de la maréchale au premier acte (et conclut les premier et troisième), en un charmant valet – chauffeur métis éperdument amoureux de la dame, au point de récupérer et d’inhaler le mouchoir qu’elle abandonne, après l’envoûtant trio final !

Günther Groissböck effectuait en 2014 sa prise de rôle en Baron Ochs – une vraie révélation pour un personnage trop souvent caricaturé à l’extrême. Le chanteur autrichien est depuis devenu familier du rôle. Cette basse wagnérienne compose un Ochs inédit, jeune et sexy. Plus Don juan de province que barbon vulgaire et rougeaud, il reste, malgré tout, toujours aussi veule et mal éduqué, berné comme Falstaff, et tombe dans le piège diabolique d’Octavian. Vocalement comme physiquement, il est parfait dans sa truculence et sa séduction naturelles. Strauss et Hofmannsthal l’imaginaient beaucoup moins mûr que la tradition en décidait ensuite. Tout comme sa cousine, il n’a qu’une trentaine d’années, selon eux, et le jeune colosse y est parfaitement crédible.

Pour Krassimira Stoyanova, incarner Die Feldmarschallin tenait de la gageure.
Pour cette prise de rôle délicate, le discret soprano bulgare devait rivaliser avec les plus grands noms de l’histoire lyrique. Habituée du répertoire italien et vériste où elle excelle [lire notre critique d’Otello], elle a bien assimilé les arcanes du chant straussien et s’y trouvent fort à l’aise. Elle manque un peu de ces émotion et tendresse altières qui font les grandes maréchales. C’est sûrement une volonté d’Harry Kupfer, parfaitement relayée par la battue très inspirée et dynamique de Franz Welser-Möst, à la tête des Wiener Philharmoniker en grande forme qui connaissent leur Rosenkavalier sur le bout des doigts.

L’Octavian de Sophie Koch est devenu incontournable. La Française s’est illustrée dans le rôle avec talent dans les plus grands théâtres. Elle est en grande forme et semble beaucoup s’amuser dans ce spectacle dont elle est l’indispensable moteur. On restera un peu plus réservé sur la prestation de Mojca Erdmann en Sophie qui, certes, est ici reléguée au rang d’adolescente capricieuse (le couple des jeunes amants n’a pas dix-sept ans). Elle possède une voix un peu acide, flirtant parfois avec la justesse, là où l’on garde en souvenir des références inoubliables… Mais le fameux trio final est élégiaque et reste un enchantement. Tous les nombreux seconds rôles sont parfaitement tenus, à commencer par le Faninal d’Adrian Eröd, la Duègne de Silvana Dussmann, les intrigants Valzacchi de Wiebke Lehmkuhl et Rudolf Schasching. Pour finir, un grand moment d’exception pour une œuvre très fréquentée qu’on apprécie avec un plaisir renouvelé.

MS