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Chroniques
Richard Wagner
Siegfried
Deuxième journée du Ring des Nibelungen, Siegfried est mit en chantier en septembre 1856, soit six mois après l'achèvement de Die Walküre. Mais presque un an plus tard, Wagner interrompt son travail à la fin du deuxième acte. La lassitude d'une tétralogie qui l'accompagne depuis bientôt une décennie, l'abandon à un pessimisme schopenhauerien qui l'habite alors, l'empêchent de se lancer dans un troisième acte d'amour radieux entre le Wälsung et la fille de Wotan. Une pause lui est nécessaire, tant moralement que stratégiquement – Tannhaüser (1845) et Lohengrin (1850) bien accueillis, il vise à conserver l'intérêt du public avec une œuvre de même calibre –, d'autant que le désir d'adapter la légende de Tristan et Yseult devient impérieux. Mis de côté pour quelque temps, la partition de Siegfried sera reprise après une douzaine d'année, en février 1869. Achevée le 5 février 1871, l'histoire du héros sans peur sera créée à Bayreuth le 16 août 1876.
Avant de retrouver un plateau nu au dernier acte de cette production filmée en 1992, Harry Kupfer nous entraîne dans l'antre de Mime – une sorte de container géant, qu'on occupe ou qu'on escalade – et dans celle de Fafner – bunker démesuré ou galion échoué. Rarement on a ressenti comme ici la solitude de Siegfried, qui « n'a de contact qu'avec l'ours, le loup et le dragon », comme l'écrit Wagner à Ludwig II. Observé puis manipulé par Wotan omniprésent dans cette journée, l'orphelin est obligé de vivre avec Mime, qu'il ne reconnait pas comme son père mais qui est le seul humanoïde qu'il connait. Car enfin, si le frère d'Alberich utilise Siegfried pour servir sa soif de pouvoir, quoi d'autre que l'impression d'être aimé peut expliquer que l'adolescent n'ait pas encore fugué ?
Graham Clark incarne Mime avec talent : son Nibelung rabougri est leste, expressif, tour à tour drôle ou inquiétant, pétri d'animalité ; quelques interventions quasi parlando ajoutent à son imprévisibilité. Doté d'une voix musclée, Siegfried Jerusalem déçoit dans le rôle-titre, par un aigu qui n'a pas la lumière nécessaire au ténor wagnérien et par certains dérapages. Nous retrouvons John Tomlinson en Wotan, qui avait un peu déçu dans le chapitre précédent [lire notre critique du DVD] ; rien à dire aujourd'hui, sauf saluer sa crédibilité, son aisance, une pâte vocale égale et riche. Parfaite, elle aussi, Anne Evans retrouve le personnage de Brünnhilde, enfin délivré du sortilège paternel. Günter von Kannen est un Alberich sonore, et Birgitta Svendén une Erda à la phrase toujours très souple. Un DVD fort recommandable.
SM