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Chroniques
Richard Wagner
Tristan und Isolde | Tristan et Iseult
Hébergé par le couple Wesendonck à Zurich, Richard Wagner interrompt la composition de Siegfried pour célébrer les amours de Tristan et Yseult, cristallisation de la passion qu'il éprouve pour Mathilde, épouse de son protecteur. L'amour est-il plus fort que tout ? De façon moins romantique, on peut aussi considérer cette interruption du Ring comme une pause nécessaire pour ne pas se dégoûter du projet, et imaginer l'artiste tomber amoureux parce qu'il compose Tristan et non l'inverse ! Quoi qu'il en soit, s'inspirant des premières sources littéraires – Béroul, Thomas, Gottfried von Strasburg –, Wagner transforme la légende médiévale en un drame psychologique contemporain. Le livret est achevé de sa propre main en septembre 1857, le premier acte en mai 1858 et les deux derniers respectivement en mars et juillet 1859. Avec l'appui de Louis II de Bavière, l'œuvre parvient à voir le jour le 10 juin 1865, au Hoftheater de Munich.
Pour cette production de l'Opéra d'Amsterdam filmée au Liceu de Barcelone (juin 2002), la vision d'Alfred Kirchner propose des pistes intéressantes, contestables parfois, qui servent la description de cette torture commune aux deux amants, et dont le philtre n'est qu'une métaphore. Fière Irlandaise, femme d'honneur, Isolde, en robe et pantalon satinés, décorés de broderies orientales, paraît rabaissée au rang de bimbeloterie exotique par ses ravisseurs. Future reine de Cornouaille, elle n'est pour l'instant qu'une prisonnière du camp ennemi – l'angle du bateau où elle se réfugie pour certaines confidences à Brangäne évoque d'ailleurs un cachot –, en butte au machisme de Kurwenal, au dédain de Tristan. Ce dernier, qui maudit plus tard « l'effroyable breuvage qui [le] livre au tourment », se jette lui-même sur l'épée de Merlot, de même que son serviteur préfère ne pas lui survivre. Le décor de l'acte II – un arbre en flamme, un carré de verdure, etc. –, assez irréel, rend compte de ce désordre qu'est devenu l'univers pour les deux victimes.
Si Deborah Polaski peine sur certains aigus dans cet acte en particulier, son chant évident en fait une Isolde de premier rang et permet à l'expressivité de la fosse de s'épanouir. Ne pas voir son personnage s'effondrer au final nous le rend éternel. Déguisé en Franz Liszt, John Treleaven mérite reproches et compliments mêlés : peu stable, souvent faux, il jouit d'une belle vaillance, d'un timbre clair, et mène son legato magnifiquement. Vaillant également est Falk Struckmann (Kurwenal) et fiable Wolfgang Rauch (Melot). Lioba Braun (Brangäne) a beaucoup de couleur, Michael Vier (le pilote) une voix saine, fraîche et nuancée. Avec un chant nourri, une égalité sur toute la tessiture, Erik Halfvarson compose un Roi Marke lui aussi en proie à la douleur. Malgré des cuivres et des bois peu convaincants, un certain manque de suspense ou de désir parfois (récit de la mort de Morold), Bertrand de Billy dirige un orchestre leste, musclé, qui ne pontifie pas.
SM