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Chroniques
Richard Wagner
Das Rheingold | L’or du Rhin
L'on dit parfois que le mieux serait l'ennemi du bien ; vaste sujet à méditer… À la fin des années quatre-vingt, la Colline verte produisait un nouveau Ring brillamment réalisé par Harry Kupfer. Nous avons eu le plaisir de nous en faire l'écho à l'occasion de sa parution DVD (Warner Classics). Qu'est-ce qui a poussé le talentueux metteur en scène à réitérer l'aventure, s'exposant inévitablement à la comparaison ? Sans doute la volonté de faire mieux encore que la première fois. Monté sous les tilleuls (Staatsoper Berlin), son second Ring a été filmé lors de sa reprise au Liceu (Barcelone), il y a trois ans. Alors que naissent peu à peu les flots du Rhin, Wotan mutile un grand arbre dont les racines démesurées encombrent le plateau : cette branche deviendra sa lance légendaire, soit le symbole de sa toute puissance, que l'on parle politique ou plus prosaïque fécondité – l'on compte une telle progéniture à ce dieu ! On le comprend d'emblée : Kupfer engage son travail dans la même voie, celle qui désigne la civilisation humaine comme destructrice de la terre qui la nourrit, en dépit du frêne sacré du monde. Aux traits nobles de son ainé, il associe les bouffissures d'un cadet, triste caricature qui oublie de diriger les chanteurs. Avec ses Filles du Rhin d'antan, ses échafaudages, fumigènes, projection et miroirs, ses dieux de carton-pâte – Star wars, Alien, etc. –, ses géants-robots, le résultat est affligeant. On n'en retiendra que l'ingéniosité pratique d'un dispositif d'ascenseur et une malédiction d'Alberich particulièrement réussie.
Quant aux voix, l'auditeur restera dubitatif, après avoir constaté le peu d'unité du trio féminin. Cristina Obregón est une Woglinde fragile et instable qui ne semble pas posséder le format et la technique requis par le rôle, Ana Ibarra offre une riche couleur à Wellgunde, tandis que la Flosshilde de Francisca Beaumont s'affirme comme la plus probante. Si Elisabete Matos chante une Freia plutôt terne, bien que possédant d'indéniables moyens, Lioba Braun donne une Fricka satisfaisante, dont l'impact solide retient l'écoute. On goûte également l'art sensible d'Andrea Bönig en Erda.
Côté messieurs, au vaillant Froh de Jeffrey Dowd répond un Wolfgang Rauch honorable en Donner. Francisco Vas, quoique attachant en Mime, s'avère moins efficace vocalement. On notera la belle égalité du timbre de Matthias Hölle en Fafner, malgré un aigu qui paraît un peu maigre, et l'excellentissime Fasolt au grain généreux de Kwanchul Youn. Certes, Graham Clark livre une fois de plus sa présence rafraîchissante à Loge, mais sa performance strictement vocale est mise à mal par le temps qui, pour tout le monde, finit par passer. Rendu plus grotesque que le pied de la lettre des moqueries des vierges l'autorisent, l'Alberich de Günter von Kannen bénéficie d'une voix sans faille, mise au service d'un chant toujours parfaitement conduit. Enfin, Falk Struckmann est un Wotan idéalement agressif, grâce à un timbre corsé duquel il faudra cependant avouer l'aigu relativement disgracieux.
Est-ce pour autant dans la fosse que le mélomane trouvera son plaisir ? Oui, si l'on parle du précieux équilibre que Bertrand de Billy maintient avec les voix, tout au long de la représentation. Mais la bonne surprise n'ira guère plus loin, tant les musiciens de l'Orquestra Sinfónica del Gran Teatre del Liceu rencontrent de difficultés dans cette partition. Le conditionnement incompréhensible de ce Rheingold en deux DVD, partant que l'ouvrage ne dure que deux heures et quarante minutes, achèvera de nous éloigner d'un produit qui émascule une progression orchestrale en nous obligeant à changer de galette, comme au pas si bon vieux temps !
BB