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Chroniques
Richard Wagner
Götterdämmerung | Le crépuscule des dieux
À Bayreuth, pour la nouvelle production du Ring présentée en 1994, la créatrice des décors et des costumes Rosalie – de son vrai nom Gudrun Müller, une élève de Jürgen Rose – vola la vedette au metteur en scène Alfred Kirchner. Après les interprétations politiques de Patrice Chéreau et d'Harry Kupfer, l'objectif de la nouvelle équipe était de débarrasser le grand-œuvre wagnérien de tout prisme idéologique. Comme de coutume à l'opéra, les spectateurs durent choisirent leur camp devant ce Ring de designer. Pour notre part, nous avons été sensibles à l'abstraction et à la pureté géométrique de cette vision harmonieuse. Avec ce sol bombé évoquant le globe sur lequel se joue des combats décisifs avant l'embrasement du Walhalla, un rocher de Brünnhilde qui évoque aussi bien une voile qu'un bouclier ou encore cette forêt comme des échelles entre ciel et terre, l'imaginaire est plus libre et les contresens quasiment impossibles. Nous sommes donc au plus près du texte et de l'émotion, d'autant que la caméra privilégie la douceur, voire la lenteur – en particulier celle des travellings avant –, et que la distribution rencontrée, ce mois de juin 1997, est assez exceptionnelle.
Nous sommes tout de suite happés par un trio de Nornes offrant une sorte de parenté vocale des interprètes – rondeur et richesse de Birgitta Svendén, amplitude et grande précision d'Yvonne Naef, générosité et opulence de Frances Ginzer.Wolfgang Schmidt apparaît comme un Siegfried très changeant selon les actes (et les captations ?) : il livre le pire (timbre agressif, aigreur du médium et du bas-médium) comme le meilleur (aigu souple, superbe récit de l'oiseau, tout en délicatesse). La Brünnilde de Deborah Polaski est proprement inoubliable : outre que cette artiste respire l'intelligence du texte, son chant recèle un velouté, une rondeur et une plénitude qui vous mettent les larmes aux yeux ; qui d'autre, à l'époque, aurait pu mettre autant de noblesse et de dignité dans une scène ultime appelant pourtant à la vengeance ?
Au château des Gibichungen, les talents ne manquent pas : Falk Struckmann s'avère un Gunther idéalement métallique et Anne Schwanewilms une Gutrune élégante, à l'émission un peu petite mais à l'aigu angélique. Ils sont cependant éclipsés par le charisme d'Eric Halfvarson : outre une égalité de couleur quelque soit la hauteur d'un chant large et évident, à la réserve immense et au grain épais, le musculeux Hagen bondissant qu'il incarne se révèle effrayant pas sa façon de régenter l'assemblée, autant que touchant dans sa souffrance rentrée. La puissance d’Hanna Schwarz (Waltraute) et d'Ekkehard Wlaschiha (Alberich pas très juste) sont également à signaler, tout comme le trio équilibré des Filles du Rhin : Joyce Guyer (Woglinde lumineuse), Sarah Fryer (Wellgunde très sonore) et Jane Turner (Flosshilde moelleuse).
Peu fanatique du travail de James Levine au départ, il faut bien reconnaître la qualité de sa proposition. S'il a parfois la main lourde sur les exaltations conclusives et livre souvent des scènes sacrées sans mystère (Acte I, scène 1), sa direction très lyrique offre un bon confort d'écoute. Notons la présence de cuivres extraordinaires (début de l'Acte III). Enfin, félicitons le Chor der Bayeuther Festspiele – et son chef Norbert Balatsch – pour son engagement. S'il apparaît tonique en milieu d'Acte II, il peut oser une grande douceur, lors de l'apparition de Brünnhilde à la cour de Gunther.
LB