Recherche
Chroniques
Richard Wagner
Der fliegende Holländer | Le vaisseau fantôme
Ce fliegende Holländer ouvre la fête wagnérienne de Marek Janowski : étalée jusqu’en novembre 2013 (Götterdämmerung), la publication des enregistrements live des dix principaux opéras de Wagner constitue dès à présent un événement majeur du bicentenaire de la naissance du compositeur. Ces captations seront toutes effectuées lors de concerts donnés à la Philharmonie de Berlin. Voilà indéniablement de quoi se bien préparer aux célébrations de l’an prochain, d’avantageusement réviser son Wagner ou, pour les novices en la matière, d’entrer dans la danse.
Nous sommes le 13 novembre 2010. Marek Janowski dirige son Rundfunk Sinfonieorchester Berlin et un passionnant plateau de six voix dont certaines sont ses complices de plus ou moins longue date. L’Ouverture impose une lecture vive, puissante et claire, dont la ciselure nettement tranchée n’est pas incompatible avec une densité qui emporte immédiatement l’écoute. Le second thème (ballade) gagne une tendresse apaisée, îlot au cœur de la tempête, mirage dans l’anéantissement du Vaisseau des morts (Traven, alias Ret Marut, Das Totenschiff, 1926). Outre de laisser goûter des détails d’écriture qui trop souvent passent à la trappe, Janowski profite des bois remarquables de son orchestre. Nul besoin de mise en scène : la riche expressivité à laquelle le chef jamais ne déroge tout au long du concert stimule parfaitement l’imagination.
À l’abord de l’Acte I, la prestation du Rundfunkchor Berlin surprend par une élégance qui fait sentir les limites d’une interprétation de concert plutôt qu’en représentation – ce sont des marins, bigre, non des chantres ! À cette réserve en forme de compliment répond bientôt un chœur de fantômes où déjà surgit tout le drame du Hollandais, dramatiquement rehaussé d’un violon déchirant. Le chœur final du I affiche une vaillance infaillible dont la baguette use fermement sans point trop en faire jamais. Le II s’ouvre dans la saine délicatesse dynamique des fileuses, à l’évidence gracieuse. De même le chœur masculin assombrit-il le climat du III dans une vigueur discrètement travaillée.
On aurait pu penser que de confier le rôle de Daland à Matti Salminen ne fût guère une prise de risque. Pourtant, si puissance vocale et impact théâtral sont bien au rendez-vous, on découvre là un grave pas toujours assuré, un phrasé fatigué qui, du coup, « saucissonne » un brin la ligne. Aussi fait-il attendre la troisième scène pour apprécier un Daland plus fiable – ombre minime d’une distribution plus que satisfaisante. Robert Dean Smith – Lohengrin à Munich et Tannhäuser à Budapest [lire nos chroniques du 29 juillet 2010 et du 3 juin 2012] – campe un Erik qui se cabre, non sans raideur pour commencer, et choisit de nuancer le chant à partir d’un « Du bist so bleich » de rêve jusqu’à un « O Senta, Leugnest du ? » qui met genoux en terre. Saluons en Steve Davislim un Steuermann gracieux qui livre un Lied positivement précieux. Enfin, l’autorité d’Albert Dohmen fait mouche dans le rôle-titre. Cette voix suspend l’écoute à ses lèvres, taillant dans un timbre de pierre qui domine l’enregistrement. Au grand baryton-basse allemand de mettre alors son art extrêmement raffiné de la nuance au service d’une admirable intelligence musicale.
Les deux rôles féminins ne sont pas en reste. Silvia Hablowetz possède la couleur vocale idéale pour Mary, et un format qui s’inscrit parfaitement dans ce que l’on pourrait appeler la « hiérarchie » des rôles. Assurément, Ricarda Merbeth est une grande voix dont les moyens décuplent l’éventail expressif. Si sa Senta révèle dans la fameuse ballade une coloration relativement dure, elle suggère également le caractère particulier des rêves de la jeune fille, alors proprement impurs (peut-être est-elle amoureuse de l’homme du portrait, sa légende ajoutant une pointe exotique à la pulsion érotique). Pour finir l’Acte médian, cette Senta amène une onctuosité insoupçonnée, donnant un « Ach, was die Ruhe für ewig ihm nahm » sur le fil de l’émotion. Le III ouvrira pleinement son chant, somptueux.
En bonne complicité avec les musiciens berlinois, Marek Janowski signe un fliegende Holländer de haute tenue qui ménage une austérité glaçante au surgissement de l’anti-héros, diablement romantique, dont il s’ingénie, dans la fluidité des cordes du I, à souligner une certaine noblesse, toute pudeur. L’intention toujours s’avère juste, de la tempête, omniprésente et pernicieuse, au sourdes menaces de la rencontre amoureuse, en passant par l’appui drolatique de la fausse valse de Daland (qui déjà voit briller l’or de l’inconnu) et la large respiration de l’épopée (ballade). Une intégrale à suivre assidûment.
BB