Chroniques

par vincent guillemin

Richard Wagner
Tannhäuser

3 SACD PentaTone Classics (2013)
PTC 5186 405
Richard Wagner | Tannhäuser

Composé peu après Der Fliegende Höllander entre 1842 et 1845, Tannhäuser sera retouché en 1861-62 pour être monté à l’Opéra de Paris, puis entre 1867 et 1875 pour Vienne et Munich. Tannhäuser und der Sängerkrieg auf Wartburg, le titre exact, insiste surtout sur le deuxième acte, un concours de chant pour conquérir Elisabeth : thème cher à Wagner puisqu’il le développera de nouveau vingt ans plus tard dans Die Meistersinger von Nürnberg.

Enregistré en live par Marek Janowski à la Philharmonie de Berlin le 5 mai 2012, à la tête de son Rundfunk Sinfonieorchester Berlin, ce cinquième coffret de la série est certainement le meilleur, en attendant la parution prochaine du Ring. Janowski a toujours fortement défendu la version de concert par rapport à l’opéra mis en scène, cela lui permettant en une soirée d’obtenir d’excellents chanteurs et de concentrer toute l’attention du public sur le chant et l’orchestre. Pourtant, l’urgence d’une prise en concert ne se fait pas sentir (tous les bruits de public ont été gommés). L’ambiance n’est pas celle de Bayreuth, ni celle d’un autre opéra allemand dont on aurait capté une soirée : la prise de son est très nette et chaque voix enregistrée par un micro personnel, annulant même l’effet de mise en espace recherché pendant le concert, puisque certains chanteurs intervenaient parfois depuis les côtés ou derrière l’orchestre.

La direction inventive et passionnée de Janowski fait de cet enregistrement l’une des plus belles versions au disque, privilégiant une vision claire où chaque détail ressort magnifié par des idées musicales jamais entendues. Nous regretterons que l’orchestre n’ait pas le grain des grandes fosses d’opéra, même s’il se montre bien meilleur que dans le Tristan de la même collection. Le Rundfunkchor Berlin surprend par le mysticisme donné à chacune de ses interventions ; là encore, nous ne sommes pas à l’opéra, mais plutôt dans une messe ou un oratorio, ce qui convient finalement bien à l’œuvre.

Le casting est quasi-idéal et il faudrait se déplacer à la Staatsoper de Berlin en mars 2014 (Tannhäuser par Barenboim) pour espérer entendre des chanteurs du même niveau. La Venus de Marina Prudenskaya, encore inconnue en France mais de plus en plus présente sur les grandes scènes allemandes (elle reprend le rôle à Berlin), est parmi les plus belle de la discographie : sa voix est ample, forte et son timbre sublime. Les plus critiques pourront lui reprocher un vibrato légèrement trop prononcé et un ton un peu dur pour le rôle, il n’en reste pas moins qu’il existe et a existé peu de Venus de ce niveau. En revanche, Nina Stemme est moins naturelle en Elisabeth qu’en Brünhilde, et la puissante beauté de sa voix ne peut faire oublier la douceur d’une Elisabeth Grümmer (version Konwitschny, chez EMI) ou d’une Lucia Popp (version Haitink, chez EMI).

Initialement prévu dans le rôle-titre, Torsten Kerl a été remplacé au dernier moment par l’Américain Robert Dean Smith. Au regard des dernières prestations des deux chanteurs, nous y avons certainement gagné : la prononciation de l’allemand dénote un fort accent pas tout à fait bavarois (un Tannhäuser du Kansas !), mais le timbre et la ligne de chant sont plus adaptés. La prestation est excellente durant trois heures, même si nous sentons parfois une attention trop portée sur la partition et un manquant de naturel, particulièrement dans l’air final. Enfin, puisque nous dirons peu des bons seconds rôles – Landgraf un peu voilé d’Albert Dohmen –, cette version est la première à nous donner la référence actuelle de Wolfram : Christian Gerhaher [lire notre chronique du 28 juillet 2010]. Considéré chez nous comme « une petite voix », il chante ici un Wolfram très poétique se démarquant d’un Fischer-Dieskau ou d’un Goerne par l’humanité insufflée au personnage.

Une Anaclase ! de notre part serait-elle de trop ? Sans doute si l’on peut revenir plusieurs décennies en arrière chez Konwitschny (version de Dresde), Solti (version de Paris) ou Cluytens (live de Bayreuth en 1955, chez Orfeo). Mais la présente version est la plus belle entendue depuis très longtemps !

VG