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Chroniques
Richard Wagner
Tristan und Isolde | Tristan et Iseult
En cernant l’homme de culture que fut le créateur du Ring, Christophe Looten l’a encore démontré récemment [lire notre critique de l’ouvrage] : Richard Wagner s’est souvent exprimé sur le rôle primordial de la religion et des légendes qui, à l’inverse de l’Histoire qui s’en tient à la surface des choses, permettent de se représenter le monde et d’expliquer les actions des hommes (Les Wibelungen, 1848), et avait fait de l’Antiquité germanique un sujet d’étude favori – où il rencontrait « l’homme avec la beauté de sa jeunesse et l’exubérante fraîcheur de sa force […], l’homme lui-même » (Une communication à mes amis, 1852). En 1873, des années après l’exil (1849-1861) durant lequel il tombe amoureux fou de Mathilde Wesendonck, le divorce d’avec Minna (1862) et la création du drame en trois actes inspiré par divers auteurs (Béroul, Thomas, Gottfried de Strasbourg, Shakespeare, Novalis) et créé au Hoftheater (Munich), le 10 juin 1865, il écrit :
« avec Tristan und Isolde, je ne m’éloignais pas du cercle des conceptions poétiques et mythiques que m’avait révélé mon travail sur les Nibelungen [lire notre critique du coffret DVD, disponible suite aux représentations du Metropolitan Opera]. Au contraire, ce travail m’avait fait découvrir le lien qui unit tous les véritables mythes et les merveilleuses variations qu’on peut en faire. L’une d’elles m’apparut avec une délicieuse évidence : […] Tristan, comme Siegfried, est victime d’une illusion qui le rend inconscient et part chercher pour un autre la femme qui lui était destinée. Tous deux trouvent leur perte dans le trouble qui résulte de cette quête » (1873).
Profitant d’un plateau profond qu’occupent les magnifiques surfaces de Günther Schneider-Siemssen, la mise en scène épurée de Götz Friedrich parie sur le charisme des malheureuses victimes du philtre fourni par Brangäne, transformées en pantins extatiques pour qui l’absence de l’autre n’est que souffrance de vivre. En fosse, Jiří Kout dirige le Chœur et l’Orchestre de la Deutsche Oper Berlin, filmés à Tokyo en 1993 par Shuji Fujii, durant une tournée japonaise. Le Tchèque ne badine pas avec l’amour, mais en cultive la gravité et la fièvre, avec patience et sans langueur, dès le Prélude. Plus loin, il se fera plus véhément encore, tout en relief, ciselure dramatique et densité. Un grand chef, assurément !
René Kollo (Tristan) séduit par sa couleur et son chant soyeux, prenant le pouvoir au fil des actes face à Gwyneth Jones (Isolde), héroïne hiératique et mystérieuse qui tombe dans son propre piège. Certes, les attaques du soprano gallois, presque sexagénaire alors, sont houleuses, mais une conduite efficace du chant mène toujours à des fins de phrases onctueuses. La simplicité brutale de la Liebestod est le couronnement d’une interprétation intense et charnelle. D’abord heurté, Gerd Feldhoff (Kurwenal) se révèle investi et ardent, dans l’acte ultime. Robert Lloyd (Marke) jouit d’un grand souffle et d’une noblesse idéale. Enfin, on apprécie Hanna Schwarz (Brangäne) au legato qui s’éveille assez vite, Peter Edelmann (Melot) à la fois solide et souple, Clemens Bieber (Jeune marin) pour son côté enfantin alla Vogt et Uwe Peper (Pâtre) dont la voix juvénile tranche avec le vieillard incarné.
LB