Chroniques

par laurent bergnach

Richard Wagner
Das Rheingold | L’or du Rhin

1 DVD Arthaus Musik (2013)
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Daniel Barenboim joue Das Rheingold (1869), l'opéra de Wagner, à Milan

Spécialiste de la culture moderne européenne (et plus particulièrement de l’histoire intellectuelle juive-allemande), le professeur Michael P. Steinberg fut dramaturge de la nouvelle production du Ring au Teatro alla Scala, entre 2010 et 2013. Dans la notice accompagnant ce DVD Das Rheingold (1869), il analyse les quatre grandes périodes historiques et stylistiques que peuvent intégrer les mises en scène successives du grand œuvre wagnérien : l’histoire du mythe (1876-1944), le mythe moderne (1951-1975), l’Histoire (1976-1980), enfin le néo-mythe.

Pour faire court, on a d’abord respecté « les indications scéniques notées à même la partition par le compositeur », avant de proposer une vision moins « naïve » lors de la réouverture de Bayreuth, après-guerre. Tandis que Richard fusionnait mythe et Histoire en vue d’une nouvelle conception fondatrice de la culture nationale, son petit-fils Wieland (1917-1966) délaisse le second élément pour ne pas remuer les récents traumatismes. C’est pourquoi la vision de Chéreau (en 1976) signale un véritable renouveau wagnérien, conçu comme une épopée historique de l’Allemagne moderne, qui tendait un miroir dérangeant aux mélomanes. Placé dans une période indéterminée, débarrassé d’événements qui s’enchaineraient de façon chronologique, le Ring de Guy Cassiers introduit un paradigme nouveau :

« [… ] il montre les promesses, les malédictions et les angoisses héritées du passé et renforcées par nos habitudes. Le présent – quel qu’il soit – est toujours imprégné du passé, ou plutôt imprégné d’un passé formé de différentes strates superposées. Nous nous trouvons dans l’incapacité de nous libérer de ce passé, et dans la plupart des cas, nous ne le souhaitons d’ailleurs pas. Nous vivons à la surface – de la vague – de l’histoire, de la mémoire et de la culture ».

Déjà lié à l’opéra par ses collaborations avec le compositeur Kris Defoort – The woman who walked into doors (2001), House of the Sleeping Beauties (2009) –, l’actuel directeur artistique de la Toneelhuis (Anvers) propose un univers baroque où le minéral côtoie le technologique, où les toiles de Klimt sont changée en robes quand les visages portent les stigmates de l’ère atomique. Déjà envahi d’éléments kitsch ou rebutants (vêtements qu’on croirait semi-organiques), le plateau foisonne de danseurs de la Compagnie Eastman qui servent un peu à tout… et donc à rien. Malgré quelques idées charmantes ici et là (ombres des géants, anneau-gant, etc.), on peine à s’installer dans le spectacle filmé le 26 mai 2010 par une caméra qui ne tient pas en place.

De même que la direction soporifique de Daniel Barenboim chagrine par son manque d’expressivité (que de moments poussifs et précautionneux !), plusieurs membres de la distribution déçoivent : Jan Buchwald (Donner), puissant mais assez brutal ; Marco Jentzsch (Froh) perfectible ; Timo Riihonen (Fafner), fade et glacial ; Anna Samuil (Freia) chevrotante et, contre toute attente, René Pape (Wotan), sonore mais aujourd’hui instable.

Le contraste est d’autant plus grand avec leurs compères sans failles. Johannes Martin Kränzle (Alberich) séduit en composant un personnage parfaitement antipathique, de même que Stephan Rügamer (Loge), outre la conduite délicate de son chant, apporte la seule touche légère et humoristique à la représentation. Impérieuse et onctueuse, Doris Soffel (Fricka) annonce la prestation souveraine d’Anna Larsson (Erda), dans sa plénitude. Kwangchul Youn (Fasolt) s’avère nuancé et très présent, tandis que Wolgang Ablinger-Sperrhacke (Mime) brille d’un ténor clair, vif et juvénile. Enfin, citons le trio coloré et chaleureux formé par Aga Mikolaj (Woglinde), Maria Gortsevskaïa (Wellgunde) et Marina Prudenskaïa (Flosshilde).

LB