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Chroniques
Richard Wagner
Der fliegende Holländer | Le vaisseau fantôme
D'abord refusé à Paris, Der fliegende Holländer sera créé le 2 janvier 1843 à Dresde. Il s'agit alors du vrai premier « drame romantique » de Richard Wagner, par lequel il renonce ostensiblement au schéma habituel italien au profit de la fluidité de dramaturgique, investie d'une véritable symphonie d'opéra. En 1977, György Solti (qui n'en était certes pas à ses premiers pas wagnériens, tant dans les fosses qu'au disque) enregistrait une version flamboyante pour Decca, à la tête du splendide Chicago Symphony Orchestra. Le label réédite aujourd’hui cette version excitante sur support CD.
Dès l'Ouverture, le chef s'avère fabuleux coloriste en différentiant génialement les divers plans sonores comme en cultivant la très riche profondeur expressive de son instrument. Tout au long de l'ouvrage, il ménage un suspens constant, une tonicité presque angoissante, au profit d'une interprétation personnelle qui, en son temps, ne fit guère l'unanimité de la critique. Indéniablement, trois grands maîtres hongrois surent le mieux emporter l'auditeur dans la tourmente, chacun avec ses qualités spécifiques. Moins libre avec le temps mais encore plus contrastée, la lecture d'Antal Doráti (1961) est tout simplement électrisante, tandis que la tension très régulière qu'entretenait Fritz Reiner (1950) demeure la plus fascinante. Mais les orchestres du Met' ou de Covent Garden supportent mal la comparaison avec celui de Chicago, d'autant que Solti réalise un mystère d'équilibre avec une partition qui semble parfois s'en moquer.
Voilà pour l'instrument et le chef.
Les voix, en revanche, suscitent moins l'enthousiasme. Martti Talvela reste un immense Daland, avec ce timbre confortable et présent qu'on lui connaît, un grave magnifique, un chant bien mené, mais quelques soucis de stabilité ; on lui préfèrera Greindl avec Ferenc Fricsay en 1952. Le clair Steuermann de Werner Krenn affirme une douceur appréciable sans avoir le charme irrésistible de Wunderlich (version berlinoise de Fritz Konwitschny, 1960). Le Hollandais affirme une belle étendue de la voix, un haut-médium étonnamment sonore : Norman Bailey s'entend à révéler le détail du texte avec nuance, à nourrir un chant parfois venimeux de l'aura de chaque mot. C'est du fort beau théâtre, à l'inverse du naturel époustouflant qui fait de London un damné de légende (toujours avec Doráti). La couleur utilisée pour ces incarnations est particulièrement intéressante : une certaine rudesse de Talvela caractérise le cupide et brutal Daland, tandis qu'au contraire la voix de Bailey suggère la bonté d’un Hollandais repentant.Isola Jones s'avère une Marie honorable au timbre chaleureux, tandis que la Senta de Janis Martin, si satisfaisante qu'elle soit par ailleurs, est un peu froide. Elle fait magnifiquement vivre ses frayeurs au début du deuxième acte, sans atteindre l'épouvante quasiment érotique de Varnay – avec Reiner (1950) comme avec Joseph Keilberth (1955) –, mais une sérénité déconcertante vient par la suite contredire une première impression qu'on aurait souhaitée défendue jusqu'à la fin. Sa prestation est propre, nuancée, avec un legato parfois optionnel sur les phrases descendantes, mais le chant manque de charisme. Enfin, René Kollo est un Erik vaillant qui manque quelque peu de souplesse dans l'aigu et oublie trop que l'orchestre n'est pas toujours tonitruant, ce qui devrait l'inviter à des douceurs qui font cruellement défaut.
Au miracle de son orchestre, Chicago associe celui d'un chœur somptueux. Les matelots du dernier acte, par exemple, offrent une musicalité rare dans un passage où la plupart des formations se contente de construire un bloc vocal massif et autoritaire. Les fileuses ne sont pas en reste, même si l'option de Solti, à cet égard, se révèle un rien démonstrative et lente, voire laborieuse.
BB