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Chroniques
Richard Wagner
Tristan und Isolde | Tristan et Iseult
« J'ai dans la tête l'ébauche d'un Tristan et Isolde, le projet musical le plus simple, mais aussi le plus rempli de sève qui soit. » Drame musical en trois actes, l'œuvre est achevée parRichard Wagner, après deux années de composition assez tourmentées. Aux préoccupations matérielles qui le poursuivent depuis ses expériences révolutionnaires de Dresde, à l'incompréhension que rencontre son art, s'ajoutent deux faits qui marquent l'ouvrage de façon irrémédiable. C'est d'abord sa liaison avec Mathilde Wesendonck, femme cultivée et intelligente mais mariée au riche marchand qui protège le couple Wagner depuis 1852. Le scandale éclate et le musicien doit fuir. L'opéra passionné qu'il achève est symbole et sublimation de cet amour impossible. Son désir est si pressant qu'il interrompt, de 1857 à 1859, la Tétralogie en cours – « J'ai arraché Siegfried de mon cœur et je l'ai mis sous clef, comme quelqu'un qu'on enterrerait vivant ». C'est ensuite sa conversion – confessée à Liszt dès 1854 – au pessimisme de Schopenhauer, pensée terriblement tragique, mais par là-même libératrice. Tristan est le poème de l'amour qui ne se réalise que par la négation de la volonté de vivre, et cette interprétation singulière du philosophe donnera naissance au chant du cygne de l'ère romantique. « Si nous avions une vraie vie, nous n'aurions pas besoin d'art. »
De nombreux écrits européens reprennent la légende de Tristan et Iseult entre le XIe et le XIIIe siècle, que ce soit en Irlande, en Italie, en Allemagne. Le plus connu pour nous est le roman en vers de Béroul, composé vers 1180 et dont subsiste un unique manuscrit – et encore, fragmenté – de plus de quatre mille vers. Ces différentes versions nous ont permis de connaître l'ensemble du mythe dont s'est inspiré Wagner pour son livret, en s'attachant uniquement aux épisodes et personnages principaux.
L'opéra est créé au Théâtre Royal de Munich le 10 juin 1865, sous la baguette du pianiste et compositeur Hans von Bulow. La version que présente ce disque est vraiment historique : enregistré à Londres en juin 1952, il nous propose Kirsten Flagstad (habituée du rôle d'Isolde, ici à 57 ans, en fin de carrière) et le Kurwenal du tout jeune Dietrich Fischer-Dieskau, très clair et remarquable, comme il le sera si souvent par la suite. La soprano possède un timbre très riche en sus de sa puissance vocale, et d'un jeu fort expressif. Elle domine sans problème certains duos (Acte I, scène 5). Si le projet s'était déroulé avant guerre, c'est Lauritz Melchior qui – comme le souhaitaitWilhelm Futwängler – aurait dû y participer, mais sa disparition laissa la place au ténor Ludwig Suthaus. Dommage, car ce Tristan-là, irréprochable mais effacé, manque un peu d'ardeur, en particulier tout au long du premier acte. Même cas de figure pour Brangäne : Martha Mödl, envisagée à l'origine comme le mezzo idéal, chantait à présent dans un répertoire plus aigu. Blanche Thebom, finalement choisie, est un peu fausse et basse. En revanche, Josef Greindl (Marke) affirme une grande présence, et Edgar Evans (Melot) est incisif.
À la tête du Philharmonia Orchestra, Furtwängler nous offre quelque chose de très libre, où l'on ne sent plus la mesure. De ce grand geste orchestral naîtront des moments superbes comme cette ambiance sombre et mystérieuse qui ouvre le deuxième acte, en complète opposition avec le climat maritime du premier. Nous pouvons donc redécouvrir sans crainte le premier opéra gravé par le maestro, d'autant que la belle prise de son ne trahit pas son demi-siècle.
LB