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Chroniques
Richard Wagner
Parsifal | Perceval
C'est avec un intérêt décuplé qu'on écoutera cette captation live effectuée à Leipzig en 1975, puisque, outre de se faire témoignage de l'état de la tradition wagnérienne il y a trente ans, elle rendra compte d'une vision tout à fait particulière de Parsifal, sous la battue deHerbert Kegel, un chef alors réputé en République Démocratique Allemande pour ses interprétations fort appréciées des symphonies de Mahler.
Ce soir-là, Theo Adam n'est pas très stable en Amfortas, dans le premier acte, et nasalise étrangement son aigu, comme s'il n'était pas à l’aise. Conduisant souplement son chant, il libère peu à peu la plénitude de son baryton, et s'affirme excellent dans le troisième acte. Les abymes de la couleur de Fred Teschler servent idéalement Titurel, tandis que Reid Bunger s'avère un Klingsor sonore à l'aigu cuivré, au timbre corsé doté de riches harmoniques qui lui permettent d'efficacement suggérer la malveillance du rôle. Le clair Parsifal de René Kollo est nuancé et vaillant, se montrant passionnant dans l'acte central, avant de révéler une douceur extatique et infinie dans le dernier ; on regrettera toutefois qu'avec un phrasé d'une grande souplesse, une sensibilité émouvante, il frôle le sublime, n'osant pas certaines attaques en voix mixte qui auraient su faire nos délices, comme celles en falseto qu'il réserve fort judicieusement à l'Enchantement. Immédiatement émouvante, Gisela Schröter est une Kundry tout simplement effrayante, nourrissant son chant d'autant de moelleuses articulations que de couleur, de bestialité, de folie et de sensualité, dans un excès d'expressivité – ce n'est pas joli, certes, mais l'engagement, le théâtre, la présence pourraient bien être beaux ! – qui peut surprendre, mais que l'on tiendra pour diablement excitant.
Enfin, LA voix de ce disque est indéniablement celle de la basse danoise Ulrik Cold qui, à trente-six ans, livre un somptueux Gurnemanz, rôle qu'il chanterait pendant une vingtaine d'années, toujours avec le même succès. La voix est franche, la couleur tendre, l'articulation posée, le chant toujours évident, le ton suprêmement noble et sage, dans l'impact comme dans la teinte. Cold ne force rien, ose des pianissimi extrêmes, sans détimbrer, offrant au contraire quelque chose de l'ordre de la quintessence du grain de sa voix. Son évocation de la lance trouve un soudain élan lyrique empli d'une piété presque palpable. L'on pourrait dire de ce Gurnemanz-là que sa vaillance est elle-même intériorisée, voire durablement distillée. Endurant, partout équilibré, le grand charisme de cet artiste s'impose.
De même s'impose la vaillance des forces conjuguées du Thomanerchor Leipzig, du Rundfunkchor Berlin et du Rundfunkchor Leipzig dont la prestation est irréprochable. C'est d'abord en tant que chef de chœur qu’Herbert Kegel commençait sa carrière à Leipzig, en 1949, faisant peu à peu du Chœur du MDR Sinfonie Orchester l'un des plus appréciés de son temps. Ici, il accuse avec une certaine rage la modulation de double chœur de l'Acte I, toujours au service d'une expressivité redoublée. Si l'on remarquera aisément qu'il y a trente ans, la ville de Bach ne possédait pas un orchestre capable de rivaliser avec ceux d'autres grandes cités germaines – les cordes se montrent plutôt moyennes, par exemple –, l'interprétation de Kegel dynamise la formation est-allemande, usant génialement de la lumière des cuivres, des scintillements des bois, dans une conduite qui ne s'attarde pas et suit pas à pas les didascalies du texte. La vivacité des contrastes n'est pas antagoniste avec l'entretien d'une profonde pâte orchestrale, au service d'une lecture pleine de relief et d'une grande puissance évocatrice. L'étrange effacement instrumental sur l'apparition de Parsifal au dernier acte n'en paraîtra que plus sensible.
BB