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Chroniques
Richard Wagner
Das Rheingold | L’or du Rhin
L'apparition d'un label étranger sur le marché français, surtout s'il est de qualité, constitue un événement en soi. Melba Recordings n'est cependant nouveau que pour nous, puisque voilà près de six ans qu'avec la complicité de sa marraine, Dame Joan Sutherland, il publie des enregistrements dirigés par Maria Vandamme, garante d'un impact sonore qui, à lui seul, les identifie. On l'aura deviné : c'est en hommage à Dame Nellie Melba (1861-1931), la célèbre cantatrice dont l'effigie orne les billets de 100 dollars australiens, que les fondateurs ont choisi le nom de ce label domicilié à Melbourne, ville natale de l'artiste.
Nos premiers pas dans l'univers Melba se font par l'écoute du prologue aux trois journées du Ring, dans une captation live effectuée à l'automne 2004 au State Opera of South Australia, c'est-à-dire l'Opéra d'Adelaide. En général, on remarquera d'emblée une distribution confortable, réunissant d'imposants formats vocaux, ce qui est de plus en plus rare. Aussi, reprécisons qu'il s'agit d'une priselive, ce qui implique qu'on y retrouve les aléas d'une représentation dont ce qu'on appelle le temps de chauffe n'est pas des moindres ; et si, de prime abord, certaines voix vous semblent imprécises, instables et même un peu raides, ce sont précisément celles qui raviront vos oreilles un quart d'heure plus tard. La remarquable qualité de l'enregistrement immerge directement dans le grünliche Dämmerung où apparaissent les Filles du Rhin, mais, attention, la grande profondeur de la restitution SACD pouvant dominer l'aigu, nous vous conseillons un équilibrage en descendant légèrement le curseur des basses de votre chaîne Hi-fi si vous lisez ce Rheingold sur un lecteur CD.
Avec la Woglinde sournoise de Natalie Jones –Nur wer der Minne… terriblement velouté, notamment –, le bel éclat de la Wellgunde de Donna-Maree Dunlop et la joyeuse expressivité de Zan McKendree-Wright en Flosshilde, le fleuve peut s'enorgueillir d'ensembles féminins particulièrement soignés. D'un timbre ferme et presque intrusif, Elizabeth Campbell campe une Fricka d'une couleur idéalement autoritaire où l'intelligence du texte et l'art de la nuance se conjuguent dans un bel espace sonore. Lumineuse et évidente, la Freia de Kate Ladner correspond exactement à la description qu'en fait Wotan – die liebliche Göttin, licht und leicht. La généreuse chaleur du contralto moelleux de Liane Keegan met au service d'une Erda généreuse un chant somptueusement conduit.
Côté messieurs, on reconnaîtra en John Wegner l'un de ces chanteurs dont la voix parvient à donner vie à l'aveugle au personnage. On retrouvera dans sa remarquable prestation la présence et l'émotion de quelques-uns des plus grands artistes du passé. Affichant d'abord une vulgarité volontaire, son Alberich s'éclaircit peu à peu, libérant une voix plus large que supposée, livrant un grain exceptionnel à un chant vaillant qui saura toucher dans l'ultime malédiction – Gab sein Gold / mir Macht ohne Mass, / nun zeug' sein Zauber / Tod dem, der ihnt trägt ! (Scène 4). Douteux lors de ses premières répliques, John Bröcheler révèle par la suite un Wotan efficace, à l'ampleur manifeste, précisant son aigu et nuançant peu à peu pour finalement nager dans cette difficile partition comme un poisson dans l'eau. Avec la plus belle diction allemande de cette gravure, Andrew Collis offre un Fasolt expressif et bien ancré, tandis que David Hibbard confère à son frère Fafner l'épaisse pâte vocale de ténèbres largement projetées, y compris dans l'aigu. Trompétant à merveille d'une voix d'or, Andrew Brunsdon livre un Froh rêvé dont on notera l'élégance de l'articulation. Corsé et belliqueux, le chant du Donner deTimothy DuFore s'éclaire souverainement pour He da ! He da ! He do !... En revanche, la raideur et la nasalisation caricaturale du Loge de Christopher Doigt, dont le placement vocal paraîtra bizarre, ne vient pas à bout de certaines difficultés, chauffé ou non ; cela dit, une seule ombre, c'est peu. Enfin, tout en affirmant une belle santé vocale, Richard Greager s'engage dans une Mime geignard à souhait.
À la tête de l'Adelaide Symphony Orchestra dont on observera l'égalité des pupitres, Asher Fisch impose une vision grave, chargée et pleine de dangers de Das Rheingold, tout au long d'une interprétation nuancée et expressive à l'accentuation d'une grande souplesse. Citons en exemple la conduite efficacement descriptive du premier interlude où il fait judicieusement se rejoindre Liszt et Berlioz enWagner, ou encore celle du dernier interlude, d'une élégante dynamique, qui ne souligne que discrètement le progressif entrelacs des leitmotivs. Voilà une Tétralogie qui commence bien !
BB