Chroniques

par bertrand bolognesi

Richard Wagner
Parsifal | Perceval

1 coffret 4 CD PentaTone (2012)
PTC 5186 401
Richard Wagner| Parsifal

Il y a quelques mois, nous avions salué avec enthousiasme la parution d’une nouvelle intégrale live des opéras de Wagner, signée Marek Janowski, en amont du bicentenaire que nous fêterons l’an prochain. Il s’avère cependant qu’à la réussite du fliegende Holländer [lire notre critique du CD] répond un Parsifal qui fait triste mine, il faut l’avouer. Des qualités, certes, mais qui à elles seules ne sauraient honorer la dernière partition du maître dont le caractère principal demeure de ne ressembler en (presque) rien à ses huit ouvrages lyriques précédents – huit, car ce projet exclut Die Feen (1833), Das Liebesverbot (1834) et Rienzi (1840).

Parmi les bonnes choses, des ensembles vocaux somptueux, notamment les Écuyers (« Durch Mitleid wissend… » à pleurer…), d’une pureté indicible, toujours en grand secret. Sobrement soignés, les passages choraux des Chevaliers du Graal bénéficient eux aussi d’un traitement de luxe. Les interventions du Rundfunkchor Berlin sont donc les bienvenues. Cela suffit-il ? Cette saine perfection des pupitres du Rundfunk Sinfonieorchester Berlin est encore du rendez-vous, avec la hardiesse de tenue de ses cuivres, la fiabilité de ses cordes, la couleur de ses bois. Les ingrédients d’une belle fosse sont donc à l’œuvre. Et pourtant…

Le Vorspiel du I nous plonge dans cette simplicité particulière – « simplement compliqué » aurait pu dire un certain Viennois… – que Wagner énonce lui-même dans son projet de Parsifal. La dimension dramatique montre volontiers le bout de son nez dans un maintien subtil de l’ambitus dynamique qui confine au recueillement. La foi l’emporte, resserrant le tempo comme par une sorte d’excès de ferveur. L’ultime élan s’atteint dans le surlignage de la structure, ce qui paraît antagoniste. Et c’est là que le bât blesse : Marek Janowski construit laborieusement trois actes dont il exhibe cordialement l’architecture. Parsifal n’est pas le Ring… Sa fosse est ferme, parfois carré, presque militaire, non sans une épaisseur souvent généreuse, sans comprendre l’élévation intrinsèque de l’œuvre qui n’opère pas à coups de baguette. De même le recueillement se traduit-il trop souvent par un alourdissement de la battue, un engluement de la sonorité qui finissent par laisser un arrière-goût de bigoterie plutôt que de révélation mystique. Le baptême de Parsifal est ampoulé, l’adoubement s’assoupit, etc. La réalisation orchestrale est incontestablement irréprochable, d’une « plasticité » admirable, même, mais le Bühnenweihfestspiele paraît comme « administré », pour ainsi dire, sans s’accomplir. L’auditeur cherchera son plaisir dans l’acte médian, d’une fluidité de meilleur aloi, les atermoiements du palais maléfique trouvant là un nerf satisfaisant, dans un climat de guerre qui ménage bien des surprises quasiment théâtrales.

Autre pied-bot de cette livraison : une distribution tant inégale qu’inefficace – cela dit, n’oublions pas qu’il s’agit d’une prise de son de concert et non de studio. Parmi les rôles secondaires, le jeune ténor australien Michael Smallwood est un Troisième Écuyer probant. Alors qu’il nous habitua à des prestations de haute tenue, Franz-Josef Selig déçoit. Le timbre est riche, la voix est longue et remarquable l’intelligence du texte ; on le savait (sans qu’il fût nécessaire de les mettre en vitrine). Mais ici, la nuance est presque maniérée, de trop nombreux portamentos déjouent les attaques, et à des phrases divinement caressantes en succèdent d’autres cruellement ternes où s’entendent roulements d’yeux et inutiles effets de souffle, de tremblement, etc. Que vient faire Evgueni Nikitin dans le manteau d’Amfortas ?... Le baryton-basse russe n’y manque pas de présence, mais le timbre est terriblement métallique et le rôle conçut tout en surjeu, au fil d’une accentuation vériste en contradiction avec une puissance tragique qu’assurément l’artiste possèderait sans cette armada de « trucs » qui malmène jusqu’à la justesse.

Imposant d’abord une clarté de bon aloi dans ses premières mesures, le Parsifal de Christian Elsner accuse bientôt une émission problématique. Une curieuse oscillation entre engorgement et nasalisation dénature le timbre. Au deuxième acte, le chant s’améliore, malgré desparlando abusifs, mais sans guère d’engagement. Au troisième, il pourrait bien nous absenter de l’écoute… Onctueuse au I, sur une réserve qui la rend mystérieuse, avec cet « Ich bin müde » souverainement prégnant, Michelle DeYoung donne une Kundry plus noble qu’on s’y attendrait, et si les premiers moments du II ne « décollent » pas, c’est qu’ils conduisent avec économie à un récit de la malédiction où se déploie l’expressivité du mezzo nord-américain. Pourtant, une aura plus sensuelle fait défaut.

Deux incarnations sortent du lot : le Klingsor à la fois souple et agressif, véritable diable de cirque, bénéficie du grand métier d’Eike Wilm Schulte ; à soixante-douze ans, le baryton allemand livre un magicien à l’infernale énergie dont il investit précisément les intentions dramatiques. Enfin, Dimitri Ivachenko campe un Titurel inoubliable, profond sans écrasement, autoritaire et bon, porté très loin.

Ce n’est pas parce qu’on est un wagnérien avéré qu’on réussit Parsifal, cette galette soulève une fois de plus ce paradoxe. Gageons qu’avec Die Meistersinger von Nürnberg, la prochaine livraison de son intégrale, Marek Janowski retrouvera de sa superbe.

BB