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Chroniques
Richard Wagner
Die Walküre | La Walkyrie
La publication par Melba Recordings des captations du Ring de l'Opéra d'Adelaide – The State Opera of South Australia – en décembre 2004 se poursuit logiquement avec Die Walküre où l'on rencontre ce même génie de la distribution qui inspirait Rheingold et cette incomparable qualité du rendu sonore que nous décrivions il y a quelques semaines [lire notre critique du CD].
Dans la même veine expressive, Asher Fisch peint magistralement les climats de la plus opératique des journées wagnériennes grâce à une palette dynamique et un souffle dramatique remarquables. Dès lePrélude du premier acte, on entend le feu, l'héroïsme, le danger, l'amour, la rébellion, l'urgence et cette sorte d'inertie désespérante à laquelle Wotan ne veut pas se résigner. Chaque détail du matériau orchestral se trouve ici mis au service de la dramaturgie, l'aimante Sieglinde arrivant alors naturellement après un appel si suave des cordes, par exemple (Acte I, Scène 1), la réserve pudique du trait de violoncelle dessinant délicatement le trouble naissant entre frère et sœur, le renoncement de Wotan (Acte II, Scène 1) se lovant dans une tendresse nauséeuse de la sonorité, autant de médiations contrastées par les incroyables profondeur et vigueur des interventions de l'Adelaide Symphony Orchestra, en symbiose avec le luxe général des formats vocaux employés, où la véhémence trouve toujours son relief, où la tension est précisément conduite (de sorte que le revirement de la scène 4 de l'Acte II, entre autre, est saisissant), où l'événement se fait palpable (cinquième scène du deuxième acte : combat haletant, comme si l'on y était), sans négliger l'enthousiasme lyrique convoqué par l'ouvrage. C'est une vivacité équilibrée dont l'autorité n'a d'égale que la sobriété qui régit alors la chevauchée introductive du III, laissant à la tendresse revenue de l'ultime scène une désolation indicible d'où sourd, précieusement mené, l'endormissement de la fille rebelle.
Côté voix, on commencera par saluer l'unité qui caractérise les Walkyries dont la vaine supplication (für die bange Schwester bitten wir nun, deuxième scène de l'Acte 3) sait émouvoir. Individuellement, Elizabeth Stannard est une Gerhilde incisive et lumineuse à l'aigu large, Lisa Harper-Brown donne une belle chaleur de timbre à Orlinde, tandis que Gaye MacFarlane accorde à Siegrune un impact tout de rondeur et onctuosité. On retrouve quatre voix du prologue : Zan McKendree-Wright (Flosshilde dans Rheingold) usant en Schwertleite d'un grave questionneur mis en action par une articulation musclée, Kate Ladner (Freia) particulièrement vaillante en Helmwige, Donna-Maree Dunlop (Wellgunde) qui prête à Rossweise une riche couleur vocale, enfin Liana Keegan (somptueuse Erda, répétons-le) qui s'avère peut-être moins à son aise dans la tessiture de Waltraute.
Retrouvailles attendues que celles avec la Fricka d'Elizabeth Campbell et avec John Bröcheler dans le rôle de Wotan. Si la première profite d'oxydations suggestives pour camper une mégère efficace, le second, outre qu'il ne révèle le bel espace vocal dont il dispose qu'après un certain temps de chauffe (nous sommes en live, ne l'oublions pas), accuse des graves fragiles qui n'honorent pas l'épisode. C'est nettement insuffisant dans Lass ich's verlauten (Acte 2, Scène 1), plus encore dans Was keinem in Worten ich künde. Sa longue confession (résumé du Prologue) accuse des intonations trop approximatives, même si la plénitude est au rendez-vous. En revanche, l'intelligence dramatique est précieuse, comme en témoignent l'âpreté du désir de punition de la fin de l'acte central, l'effrayante colère du début du III, la paralysante violence avec laquelle il prononcera la condamnation de sa fille, mais surtout la grande amertume finale, avec un Da labte süss et un Der Augen leuchtendes Paar (quasi lied) à pleurer.
Par ailleurs, si Richard Green, avec pourtant un organe généreux et un grain charismatique, ne convainc pas en Hunding, les tenues s'affaissant régulièrement et la trop moelleuse diction comme la justesse aléatoire desservant le chant, le Siegmund de Stuart Skelton fait mouche. Au premier acte, on remarque d'abord la lumière du timbre, la vaillance de la projection et l'ampleur du format, mais l'émission semble précautionneuse et la diction inégale ; c'est pour l'ultime So nenn ich dich ! qu'il révèle le muscle de sa voix, ne recourant plus alors à aucune nasalisation, jusqu'à magnifier le duo amoureux. Au II, on perçoit un grave insoupçonné, étonnamment corsé chez un ténor, et une grande puissance expressive lorsqu'il s'agit de se montrer belliqueux. Les quatrième et cinquième scènes couronnent un chant magnifiquement nuancé. Le phrasé élégant, l'opulent legato et le timbre de velours de Deborah Riedel font merveille en Sieglinde, déployant plus aisément encore l'ampleur des moyens à la fin du premier acte dont l'éloquence se pourra comparer à l'émotion d'un O hehrstes Wunder ! (Acte III, Scène 1) qui fait frissonner. Enfin, après un Acte II assez raide et peu gracieux, Lisa Gasteen est une Brünnhilde au grave riche et charnu, au chant infiniment coloré. À suivre…
BB