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Chroniques
Richard Wagner
Die Feen | Les fées
À l’automne 1832, alors qu’il approche de la vingtaine, Wagner (1813-1883) s’essaye à l’écriture dramatique. Parmi ses projets se trouve Die Hochzeit (Les noces), une histoire d’amour moyenâgeuse à laquelle il renonce en partie sous la pression familiale. Le livret entier est détruit par le jeune musicien, mais quelques fragments musicaux en réchappent, ainsi que le nom de ses héros principaux. On retrouve donc Ada et Arinda dans Die Feen, ouvrage inspiré par La donna serpente (1762) de Carlo Gozzi – l’auteur de tant de fables surnaturelles parmi lesquelles une Turandot écrite aussi cette année-là, arrangée par Schiller au tout début du XIXe siècle. Le livret est entamé sans doute au début de 1833 et la partition achevée en janvier 1834. Face au peu d’engouement que suscitent ses trois actes romantiques à Leipzig puis à Magdebourg, Wagner renonce à voir monter cette œuvre de jeunesse – dont il joue souvent l’Ouverture, « bien orchestrée », de loin en loin. Elle est finalement créée à l’Opéra de Munich le 29 juin 1888, à titre posthume. En ce qui concerne la France, il faut attendre près d’un siècle et demi [lire notre chronique du 27 mars 2009] pour découvrir sur scène un ouvrage dans lequel, comme l’expliquait le metteur en scène Emilio Sagi dans le programme d’alors, « tous les personnages sont parfaitement définis par le texte et par la musique ; il suffit d’écouter pour bien comprendre ».
Qui sont Ada et Arindal ? Lui est un prince, elle une fée. En l’épousant, Arindal a promis de ne pas interroger Ada sur sa véritable nature, durant huit ans. La veille de l’échéance, il cède et se trouve aussitôt éloigné d’elle. Lorsque l’ouvrage commence, Ada est prête à devenir mortelle pour le rejoindre, tandis que certaines fées intriguent pour la séparer de l’humain. De son côté, mis au courant d’événements récents (la mort de son père, Murold qui lorgne sur la couronne et sur sa sœur Lora promise à Morald), Arindal regagne le royaume de Tramond, après avoir fait la promesse à Ada retrouvée de ne jamais la maudire, quoi qu’elle fasse. Or, pour mettre son époux à l’épreuve, la fée doit jeter aux flammes leurs enfants. Ils en réchappent bien vivants, mais la promesse de l’époux horrifié n’est pas tenue : Ada se change en pierre pour cent ans. Arindal sombre alors dans la folie tandis que Morald et Lora montent sur le trône. Finalement, équipé d’attributs magiques, le prince se décide à combattre pour regagner sa belle. L’immortalité lui est offerte en échange de son courage et de son amour, et il peut s’installer avec Ada, devenue reine, au royaume des fées.
Enregistrée les 3 et 6 mai 2011 au l’Alte Oper Frankfurt, cette version de concert nous permet de découvrir le jeune Wagner prenant ses marques dans la mouvance du grand opéra romantique. Côté masculin, Burkhard Fritz (Arindal) se montre vaillant dans un rôle multi-facettes, Thorsten Grümbel (Gernot) possède du charisme et de beaux graves, Michael Nagy (Morald) s’avère sonore quoiqu’un peu terne, tandis que le fort clair et brillant Simon Bode (Gunther) révèle un talent à suivre. Côté féminin, Tamara Wilson (Ada) fait preuve de stabilité et de nuance, Brenda Rae (Lora) séduit par un chant évident et une belle autorité – tout récemment au service d’Händel [lire notre chronique du 6 février 2013] –, et Christiane Karg (Drolla) fait vivre sa drôle de scène de ménage avec l’agilité attendue. À la tête du Frankfurter Opern und Museumsorchester et du Chor der Oper Franckfurt (particulièrement engagé dans les tensions initiales de l’Acte II), Sebastian Weigle, qui depuis a livré un Ring d’exception [lire notre chronique du 3 février 2013], réjouit par l’équilibre de sa lecture, entre vivacité et rondeur.
LB