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Chroniques
Richard Wagner
Die Meistersinger von Nürnberg | Les maîtres chanteurs de Nuremberg
Après Der fliegende Holländer [lire notre critique du CD] et Parsifal, c’est aux Meistersinger von Nürnberg que s’attelle Marek Janowski, dans le cadre de la quasi intégrale Wagner – à l’exclusion des ouvrages de jeunesse que sont Die Feen, Das Liebesverbot et Rienzi – qu’il enregistre en live à la Philharmonie de Berlin sur deux ans. Dès l’abord, l’Ouverture du seul ouvrage « comique » (la verve humoristique de Wagner se retrouve par ailleurs dans bien des épisodes du Ring, par exemple) sonne avec juste ce qu’il faut de solennité et de mouvement, dans un sain équilibre qui la place plutôt du côté d’Hans Sachs que de la jeunesse. Les cuivres du Rundfunk Sinfonieorchester Berlin font florès, fiables bien sûr mais encore musicaux. Les bois de sont pas en reste, de même que des cordes d’une réjouissante tonicité, exemplaires bien que d’une nature assez conventionnelle. Le relief chambriste de la première scène s’avère gracieux, bientôt conclu dans un geste orchestral majestueux. La leçon donnée par l’apprenti s’appuie sur une soie tissée aux points de harpes musclées.
Après un final du premier acte plutôt enlevé, la brève introduction du II s’effectue dans une saine fraîcheur. Accompagnant Eva, le surpiquage des bois est simplement exquis. La confusion qui conclut l’épisode médian est menée dans une si puissante robustesse que de confusion l’on ne rencontre guère, avouons-le, mais bien plutôt un hommage attentif à la construction polyphonique de ce passage. Tendrement recueilli, le Vorspiel de l’Acte III s’élève dans l’aura chorale de cuivres de bon aloi, « lovant » bientôt le propos dans une nuance presque chambriste que Janowski savoure et fait savourer juste ce qu’il faut avant que d’assombrir la pâte dans l’âpreté du dilemme de Sachs ; bref, voilà un Prélude qui dit beaucoup, en amont du saisissant monologue existentiel du personnage central, soutenu par des cordes à l’inflexion plus sombre encore. Main dans la main avec le Rundfunkchor Berlin, le chef obtient des grandes scènes de chœur rien moins que l’excellence (on ne croise pour ainsi dire jamais ce niveau dans une maison d’opéra, précisons-le), dans une solennité simple, directe, voire idéale.
Il semble toutefois qu’une sorte de malédiction pèse sur Die Meistersinger von Nürnberg au disque, si l’on en croit les dernières approches qu’à la faveur de rééditions l’on en put avoir [lire nos critiques CD des versions Knappertsbusch 1951 et Solti 1975] – de fait, de cet opéra l’on goûte plus de gravures « historiques » que de tentatives contemporaines –, en ce qui concerne la distribution. Pour ne pas vraiment démériter, celle réunit dans cette captation ne satisfait pas pleinement. Matti Salminen y est un Nachtwächter de moelleuse autorité, Hyung-Wook Lee un Foltz présent et ferme, Michael Smallwood un Vogelsang flatteusement clair et Tobias Berndt un Ortel encore timide. En revanche, Tuomas Pursio tremble dangereusement son Kothner.
Si Michelle Breedt campe une Magdalena efficace, Edith Haller donne une Eva assez inégale. D’abord généreusement impactée, la voix s’évapore dans les brumes au deuxième acte, s’éclaire un peu dans le projet d’enlèvement, sans plus. À l’inverse, le David de Peter Sonn travaille tout en nuance sur un aigu qu’il possède facile, par-delà la « crudité » requise par le rôle, parfaitement assumée. On retrouve Georg Zeppenfeld en Pogner de haute volée : naturelle, l’autorité est bienveillante, d’une onctuosité irrésistible, d’une indicible chaleur. D’abord dangereusement nasalisé, Dietrich Henschel remet progressivement en voix son Beckmesser dont il semble ne pas avoir toutes les notes (Acte I) ; il est tout à fait probant dans la partie médiane, celle où on l’attend. D’un timbre clair et d’un chant prudemment serti, Robert Dean Smith donne un Walther correct quoique terne, relativement étroit, qu’il ne libère quelque peu qu’à l’ultime exposition devant les Maîtres (« Morgenlich leuchtend in rosigem Schein… », Acte III).
Enfin, l’immense Sachs que fut Albert Dohmen déçoit dans le premier acte. D’une voix qui paraît fatiguée, il accuse un âge qui minimise le sacrifice de son amour à la jeunesse, contrairement à sa prestation genevoise [lire notre chronique du 20 décembre 2006]. Cela dit, la voix n’a rien perdu de son impressionnant espace et l’artiste bande ses forces dès le II vers une incarnation investie et souverainement nuancée qui retrouve avec bonheur l’énergie qu’on lui connaît. Du coup, son III est un pur bonheur.
BB