Chroniques

par bertrand bolognesi

Richard Wagner
Götterdämmerung | Crépuscule des dieux

1 coffret 4 SACD Melba Recordings (2007)
MR 301099-02
Richard Wagner | Götterdämmerung

La superbe Tétralogie australienne s'achève avec la parution de ce quatrième coffret consacré au Götterdämmerung. L'on y retrouve, en partie, la distribution d'ensemble, à quelques permutations de rôles près. Les trois Filles du Rhin sont bien celles qui initialisèrent la cérémonie [lire notre critique du CD]. On goûte une nouvelle fois la lumineuse épaisseur de la pâte vocale de Nathalie Jones en Woglinde, à l'aigu facile, la puissance et l'onctuosité de Donna-Maree Dunlop en Wellgunde, ainsi que la riche couleur et l'extrême précision de Zan McKendree-Wright en Flosshilde, toutes trois formant un ensemble parfaitement équilibré. Les Nornes sont, elles aussi, incarnées par des voix que l'on entendit dans les précédents volumes. Ainsi de Gaye MacFarlane, Deuxième Norne ici, Siegrune là – voix corsée au grave profond –, de Kate Ladner, la Troisième, ex-Helmwige – lumineuse et souple, vaillante et nuancée – et de Liane Keegan, auparavant Waltraute, mais surtout Erda – émission évidente, velours du phrasé, grave largement creusé et grande présence –, qui confère à la Première Norne une dimension immédiatement spirituelle. Affirmant un grain velouté qui mène à un récit de la malédiction saisissant d'émotion, Elizabeth Campbell sert la Walkyrie Waltraute des qualités qui caractérisaient sa Fricka des autres journées. John Wegner demeure un Alberich incontestablement vaillant.

Quelques nouveaux venus dans l'aventure viennent la conclure. Joanna Cole offre à Gutrune une grande égalité de l'émission sur l'ensemble de la tessiture, mais une conception peut-être un peu mièvre du rôle, doté d'un chant correct, enfin intéressant lorsqu'elle accuse ses frères, mais qui minaude trop. Jonathan Summers est un Gunther à l'impact tout simplement monstrueux ! Belliqueuse à souhait, la couleur particulière de cette voix convient idéalement au personnage. Autre monstre de cette famille sans scrupules, l'Hagen de Duccio dal Monte s'avère plus excitant encore, autant Böser Hagen que nous le dit sa sœur, un être tout entier résumé dans ses Wehe,Wehe, Waffen, Waffen maintes fois proclamés. L'artiste fait palpiter l'Acte I à lui seul, grâce à une présence terrible, un grave diaboliquement caverneux, un aigu méphitique et, surtout, un chant toujours précis, exact, nuancé et inspiré.

Au Siegfried de Gary Rideout succède celui Timothy Mussard qui, lui non plus, ne paraîtra pas complètement satisfaisant. Le format du rôle est honoré, certes, par une projection amplement efficace. Le caractère héroïque est également au rendez-vous. Mais le chant rencontre à plusieurs reprises des aléas de justesse, la diction allemande se laisse deviner et le placement de l'aigu nasalise un peu trop. Et soudain, sur le long récit de la deuxième scène du dernier acte, l'émission s'assouplit enfin, la nuance survient, amenant un souvenir flamboyant de ses amours. Les ultimes notes de ce Siegfried-là seront magnifiques. Enfin, Brünnhilde relativement décevante dans Siegfried [lire notre critique du CD], Lisa Gasteen nous réconcilie avec les immenses qualités que nous avions constatées dans le troisième acte de sa Walküre [lire notre critique du CD]. Avec un haut-médium robuste, un aigu fulgurant, un chant ici remarquablement souple, un art indéniable de la nuance, une véritable intelligence dramatique, le soprano livre une indignation presque virile et une onctuosité douloureuse aux élans amoureux, jusqu'à un crépuscule qu'elle rend effroyable comme la lumière, dans la vaillance increvable d'un Ruhe, ruhe, du Gott littéralement extatique.

En distinguant le coffret d'une Anaclase !, ce n'est pas uniquement Götterdämmerung que nous entendons saluer, mais toute la Tétralogie sud-australienne, prise sur le vif à l'automne 2004, dans un rendu sonore inégalé qui propulse l'écoute dans la salle. Si le State Opera of South Australia Chorus, arborant une urgence guerrière satisfaisante, ne sont pas toujours irréprochables (ténors forcés et approximatifs), leur intervention de quelques minutes dans un cursus de près de quatorze heures reste de peu de poids. En revanche, la performance des musiciens de l'Adelaide Symphony Orchestra fait autorité, sous la direction éclairée et inspirée d'Asher Fosch. Sur cette page, l'on n'en redira pas la subtilité, le ressort dramatique et la précision, autant d'atouts qui portent très haut l'embrasement conclusif du grand œuvre wagnérien.

BB