Chroniques

par bertrand bolognesi

Richard Wagner
Parsifal | Perceval

1 coffret de 4 CD Warner Classics (2009)
2564 68752-5
Richard Wagner| Parsifal

Paru chez Erato il y a trois décennies, cet enregistrement nous revient aujourd’hui chez Warner qui, pour le bonheur de l’auditeur, exploite à juste titre un fonds précieux à plus d’un titre. Quelle aventure que ce Parsifal ! Au tout début des années quatre-vingt, Hans-Jürgen Syberberg se penche sur l’ultime opéra de Richard Wagner, pour son quinzième film. Historien de formation, il n’en est pas à son premier jeté dans l’interprétation de l’histoire allemande et de l’histoire wagnérienne, puisque juste avant il a réalisé Ludwig, Requiem für einen jungfräulichen König (1972) et Theodor Hirneis oder wie man ehemalige Hofkoch wird (1973) qui tous deux fouillent la « folie » du roi bavarois, puis Winifried Wagner und die Geschichte des Hauses Wahnfried von 1914-1975 (1978) qui sans concession explore l’héritage bayreuthien au fil des dérives que l’on sait, en étant préalablement passé, en toute logique, par Hitler, ein Film aus Deutschland (1977) qui sans voile s’interrogeait et interrogeait. Outre qu’il tourne en 1981 un film recourant au play-back d’acteurs pour la partie chantée, Syberberg refuse d’inscrire sa démarche dans celle de l’opéra filmé comme document-témoin et revendique la créativité de l’interprétation, plus proche de Wagner que du temps de l’intrigue, plus proche de nous que du temps de Wagner. Une surprise : non seulement Armin Jordan enregistre en studio le Parsifal du film, mais encore joue-t-il à l’écran le rôle d’Amfortas !

Dans un entretien qu’il accordait en 1981 à l’Avant-scène Opéra, Armin Jordan affirmait avoir conçu cet enregistrement dans « un style très latin, c’est-à-dire très clair, tant intellectuellement que musicalement, et jamais pathétique. Latin veut dire aussi douloureux, poétique ». Après avoir entendu son Parsifal à Bastille au printemps 1997, mais encore celui que, deux ans avant de nous quitter, il dirigeait à Genève [lire notre chronique du 28 mars 2004], on n’en attendait pas moins du chef suisse. Aussi découvre-t-on dès le Vorspiel de l’Acte I (plus philosophique que « calotin », assurément) la ciselure terrienne et la fluidité céleste qui mèneront au sommet une lecture des plus inspirées. À la tête de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Jordan avance dans un secret qu’il se garde de révéler. Dosée avec soin, l’arche dynamique ira s’approfondissant ; elle lorgne le virage plus « opératique » du II, sournoisement industrieux, sans y participer vraiment, en majestueuse discrétion, quand à l’inverse une sensualité séduisante est franchement mise en œuvre. Tout en détaillant une couleur quasi Jugenstil, le geste général imprime une extrême tendresse à cette version où la pulsation ne se laisse plus même percevoir. Nous voilà à l’exact opposé de la bureaucratie de Marek Janowski [lire notre critique du CD] !

Si la distribution n’est pas idéale à cent pour cent, elle offre quelques incarnations de haute volée. La parfaite unité vocale des Filles-fleurs est une bénédiction ; Britt-Marie Aruhn, Jocelyne Chamonin, Tamara Herz, Gertrud Oertel, Eva Saurova et Hanna Schaer languissent d’une seule voix, dans un surgissement urgent ; la désolation du renoncement obligé à Parsifal prend un poids qu’il est rare de pouvoir constater, au disque comme à la scène. Quoiqu’assez terne et incertain dans le médium, Aage Haugland livre un Klingsor qui, loin de s’attifer d’attributs horrifiques, fait sens. De même n’entendra-t-on pas de Kundry de train-fantôme : violemment impactée, celle d’Yvonne Minton arbore un rire ancestral trouble qui dit son épuisement de vivre. On regrettera cependant le peu de stabilité du chant. Après l’ultime sursaut du désir, la malédiction finale du II est formidablement investie.

Quatre gosiers masculins balaient souverainement toute réserve. Plus que puissant, Hans Tschammer est un vaste Titurel, pourrait-on dire, dont le grave, noblement articulé, n’a d’égales que l’incroyable souplesse d’inflexion et la fiabilité « incurable ». Une dizaine d’années avant son König Marke évoqué cette semaine [lire notre chronique du DVD], Robert Lloyd donne un Gurnemanz rond, caressant même, d’une douceur élégante et sage. Son récit du I est pure merveille ! Le grain est prodigieusement charismatique. Un sursaut d’espoir habite le velours creusé d’Amfortas ; Wolfgang Schöne avance peu à peu dans une incarnation qui bouleverse (déchirant « Wehvolles Erbe… »). Enfin, le Parsifal de Reiner Goldberg est lumineux. Sa première apparition opère sur un fil ténu qui d’emblée affirme une précision rare. L’impact prend le devant de la scène dans l’acte de Klingsor, vaillant, pour gagner le III « de simple voix », si j’ose dire.

Des voix du Pražského Filharmonického Sboru, dirigées par Josef Veselka, Armin Jordan convoquait une expressivité choisie, loin d’une grandiloquence surannée, au profit d’une extrême intelligibilité. Un très grand Parsifal !

BB